• *Design des lieux d’accueil

    Design des lieux d'accueil

    En exclusivité, Nicolas Minvielle présente aux lecteurs de La Revue du Design son dernier ouvrage, intitulé Design des Lieux d’Accueil et publié aux éditions De Boeck. Il y détaille les possibilités qu’offre le design, au-delà de sa dimension purement esthétique, de devenir un déterminant essentiel des comportements d’achat et des perceptions qu’auront les clients des prestations proposées.

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    On assiste de nos jours à une extrême professionnalisation de tous les signes de la marque. Du jingle du 118-712 au parfum de certains lieux de vente, on constate que les entreprises sollicitent désormais tous les sens des consommateurs afin de les convaincre, dans un contexte fortement concurrentiel, de s’orienter vers leur offre d’objets ou de services. Dans le cadre de cette tendance lourde, le design revêt désormais une fonction fondamentale dans la mesure où il doit traduire les fondamentaux de la marque au travers de signes immédiatement perceptibles et compréhensibles par le consommateur.

    Il existe déjà en langue française de nombreux ouvrages sur le design produit, le packaging ou encore le webdesign. À ma connaissance, il n’en existe pas traitant particulièrement du cas des lieux d’accueil. Lieux de contact avec le client potentiel, il s’agit pourtant là d’un important levier de valeur pour les entreprises. Partant de ce constat, il paraissait opportun d’écrire un ouvrage sur le sujet.

    La première remarque tient au recours que je fais au terme « design des lieux d’accueil » en lieu et place du terme « décoration ». L’acception commune de « décoration » me paraissait en effet inadaptée dans la mesure où, entrée dans un langage commun largement imprécis, elle fait le plus souvent référence à la pratique de quelques personnes qui « décorent » des endroits afin de les rendre simplement plus esthétiques. Cet assemblage de constituants visuels visant à une satisfaction esthétique ne constitue qu’une approche très limitative de la pratique qui ne peut satisfaire à l’ensemble des objectifs visés par l’entreprise et qui se résument, fondamentalement, dans la « captation » finale du client.

    De ce point de vue, l’esthétique des lieux devient un simple composant d’un ensemble d’analyse intégrant les attentes des clients et des commanditaires, les objectifs de l’entreprise, la diversité des stakeholders (parties prenantes d’une entreprise, qui participent à sa vie économique : salariés, fournisseurs, clients, prescripteurs…), etc. Nombre de questions qui ne semblent pas prises en compte par le terme « décoration » et qui m’ont parues être plus correctement appréhendées par la dénomination « design des lieux d’accueil ». Ceci étant précisé, à l’intérieur de l’ouvrage, et une fois la définition donnée, le terme « décoration » est souvent utilisé.

    La deuxième remarque tient au choix volontaire de tirer de nombreux exemples de l’hôtellerie. Les raisons en sont multiples, mais la principale réside dans le fait que ces lieux sont extrêmement complexes par la diversité des services qu’ils offrent. Se rajoute à cela des problématiques importantes de ticket d’entrée, de processus de développement ou même de gestion de clientèle. Par ailleurs, la question de l’ambiance des magasins en tant que lieux d’accueil a déjà été largement traitée par la littérature en marketing, même s’il s’agit souvent de simplement tenter de trouver une corrélation entre telle variable et les ventes (impact de la musique ou de l’odeur sur les ventes, etc.).

    Une fois ces deux points précisés, se pose la question de savoir comment présenter le processus. La première question était bien sûr de savoir pourquoi décorer. La réponse est implicite pour les pratiquants, mais elle l’est malheureusement beaucoup moins pour certains commanditaires et il n’est pas rare d’entendre des hôteliers demander pourquoi la prestation coûte si cher et s’il s’agit vraiment là d’un passage obligatoire. La réponse à cette question passait notamment par la démonstration du fait que, même lorsqu’il n’y avait pas eu recours aux services d’un décorateur, le client percevait le lieu comme ayant été conçu dans un certain sens. S’il l’a mal été, le résultat sera directement impactant pour la marque, et ce de manière négative. Autant alors recourir aux services d’un designer qui a développé une expertise en la matière.

    Venait ensuite la question de savoir à qui le design s’adresse. La première réaction est de dire qu’il s’adresse aux clients. C’est évidemment le cas, mais si la conception doit être « user oriented », elle doit être développée dans le cadre d’un certain nombre de contraintes visant à satisfaire les stakeholders du projet.

    Dans le cas du design d’un lieu d’accueil, ces derniers sont nombreux : mairie, actionnaires, chef de projet, marque mère, etc. Autant d’intérêts qui doivent être pris en compte dans le design et qui sont souvent oubliés, laissant notamment de côté des problématiques de rentabilité qui sont pourtant fondamentales.

    Le deuxième chapitre se tourne vers la question de savoir comment penser la décoration. La question est déjà nettement plus complexe et intéressante. Un des aspects les plus importants pour moi était de tenter de souligner l’importance des questions de polysensorialité, et ceci afin de ce se démarquer de cette approche de la pratique de la décoration comme consistant essentiellement en un agrégat de variables visuelles. Il y a énormément de choses à dire ici et j’ai malheureusement dû limiter l’exercice qui mériterait qu’un ouvrage lui soit spécialement dédié.

    Cette réflexion doit évidemment être menée dans le cadre de contraintes de coûts importantes et surtout de contraintes d’utilisation. J’en ai profité ici pour souligner les aspects inclusifs de la conception. Le fait que, finalement, la part de la population qui dispose de capacités perceptives complètes est assez faible n’est que rarement pris en compte. Si certaines conceptions sont spécifiques (pour l’usage des handicapés par exemple) et donc basées sur l’application de normes précise, on constate que la grande masse de la population cliente n’est que rarement différenciée en sous-types susceptibles de justifier de stratégies de design spécifiques. Beaucoup reste à faire dans ce domaine.

    Pour clore ce chapitre, j’ai tenté de présenter quelques stratégies de décoration type. Il s’agissait ici plus d’ouvrir le débat que de le conclure tant il y a de choses à dire sur le sujet et tant il y a peu de choses écrites actuellement. Le recours aux stars du design a évidemment pris une part importante, de par mon background mais aussi de par l’importance des mouvements que l’on observe actuellement en la matière.

    Le troisième chapitre porte sur le processus de décoration en lui-même, partant du choix du décorateur jusqu’aux problématiques juridiques de la conception des lieux d’accueil. J’ai développé une partie portant sur les problématiques d’engagement qui peut étonner dans un livre sur le design mais elle m’a semblé fondamentale. Trop d’exemples tirés de la pratique montrent à quel point certaines erreurs auraient pu être évitées si le projet avait été recadré ou arrêté à temps. Il en va de même pour le chapitre portant sur les égos, volontairement polémique. La tendance de certaines personnes s’annonçant comme tenantes du modernisme et rejetant par là toute ornementation me semblait tellement inadéquate avec la fonction même de la décoration que j’ai souhaité relever ce hiatus.

    Dans la conclusion, je tente de souligner le fait qu’une réelle approche du design de lieux d’accueil implique de prendre en considération l’expérience vécue par le client dans une approche chronologique. Cette dernière débutant bien avant l’entrée dans le lieu et se finissant bien après.

    Nicolas Minvielle

    L’auteur : docteur en économie (EHESS), également diplômé de Sciences Po Strasbourg (section économie et finances), Nicolas Minvielle a été responsable des marques, responsable d’études et responsable Internet chez Philippe Starck de 2001à 2007. Il a créé, en parallèle, le groupe Design conseil, dédié au conseil pour la gestion du design, de l’architecture et de la décoration (2006-2008). Il est également enseignant à l’ENSCI ainsi qu’à l’école de management Audencia Nantes, et a publié en 2006 un ouvrage intitulé « Design et Croissance » chez Maxima.


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