• Interview: matali crasset

    C’est aujourd’hui la designer matali crasset qui répond à nos questions et nous en dit plus sur ses (nombreux) projets en cours.

    Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours professionnel?
    Je suis diplômée des Ateliers Ensci. Je suis arrivée au design après une licence en commerce international. J’ai découvert ce métier tardivement et le rencontrer a été une révélation immédiate.
    J’ai ensuite travaillé avec Denis Santachiara à Milan. Denis m’a confortée dans l’idée de la liberté. Ensuite de retour en France, j’ai eu la chance de frapper à la porte de Philippe Starck au moment où il recrutait et où on lui proposait l’aventure de Thomson, qui fut un projet passionnant. J’étais l’interface entre Starck et Thomson, et j’ai eu la chance de diriger la structure du design intégré de Thomson. Puis, en 1998, je me suis dit qu’il fallait voler de mes propres ailes.

    Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous en ce moment?
    Les projets sont très divers et sur des échelles de temps très variables. Paradoxalement, parfois, certains projets d’objets sont plus longs que des architectures.
    La majorité des projets sur lesquels je travaille actuellement mettent en évidence une dimension de travail collectif et collaboratif. Je pense par exemple au aux maisons sylvestres pour le Vent des forêts à Fresnes au Mont dans la Meuse, à l’école Le blé en herbe à Trebedan en Bretagne avec la Fondation de France, ou la Dar’hi à Nefta en Tunisie ou avec Cédric Casanova et ses huiles d’olive de Sicile à Belleville. Il y a là une dimension de plus en plus locale qui m’intéresse beaucoup, et qui montre bien que la contemporanéité n’est plus l’apanage exclusif du monde urbain.
    Bien évidemment, je dessine aussi des objets, mais pour moi les objets ne sont ni le centre, ni la finalité du processus de création. Ils sont une formalisation possible, parmi d’autres (une architecture, une scénographie, une exposition…), à un moment déterminé, d’un système de pensée plus vaste.
    Plus précisément, dans ma continuité de ma collaboration avec l’hôtel HI, je travaille avec ces mêmes commanditaires sur deux projets:
    - la Dar’Hi: une maison d’hôte située dans le sud de la Tunisie, à Nefta, aux portes du désert. Ce sera un petit hôtel de 16 chambres. Pour ce projet, je réalise également l’architecture. Ce qui est passionnant c’est que tout sera fabriqué en Tunisie avec des artisans locaux, de la vaisselle au mobilier.
    - un hôtel à Paris, le HI.matic, dont les travaux viennent de commencer.
    Pour le centre d’art le Vent des Forêt, j’ai dessiné des abris pour résider dans la forêt.
    Dans le cadre d’un projet nouveaux commanditaires de la Fondation de France, j’ai requalifié une école et dessiné ce que j’ai appelé des “extensions de générosité” pour une petite ville en Bretagne.
    Pour le cinéma Nouvel Odéon à Paris, je conçois également une salle de cinéma d’art et d’essai, à l’initiative du producteur Haut & Court.
    Mais je travaille aussi:
    - Sur une commande de lustres pour la cathédrale Sainte Bénigne à Dijon.
    - Sur un 1% dans le cadre d’un lycée hôtelier à Montpellier.
    - Sur une exposition et une collaboration avec l’éditeur Silverbridge à la galerie Sophie Scheidecker à Paris.
    - Sur des participations à plusieurs expositions aux Etats Unis: au SF Moma “How design change wines” et une installation dans l’exposition “Hyperlinks” à l’art institute de Chicago.
    - Sur une maison à Nice dont j’ai aussi dessiné l’architecture.
    - L’artiste Roza El Hassan m’a aussi invitée à travailler avec des artisans roms en Hongrie. Je pars pour cette aventure aujourd’hui (le 5 novembre, NDLR).
    - Sur un livre dans la collection “comme à l’atelier” aux éditions du centre Pompidou, qui sera présenté en décembre au salon du livre de la jeunesse de Montreuil
    - Sur une collection de pièces de joaillerie pour l’éditeur Le Buisson, qui sera exposée à partir du 8 novembre chez Colette
    - Des projets d’objets et de mobilier sont également en développement, pour l’année prochaine.

    Combien de personnes compte votre agence?
    Nous sommes quatre. Francis, mon mari et associé, s’occupe de l’aspect administratif et de l’organisation du studio, ce qui me permet de me consacrer pleinement sur les projets.
    J’ai une pratique très intellectualisée. Je pense beaucoup. Je pose sur le papier un projet uniquement quand il me semble utile et abouti. Cela vient de ma méfiance du dessin et de la forme pour uniquement ce qu’elle désigne.
    A partir de là, je travaille avec mes assistants, Marco et Charlotte, sur le développement.
    Je souhaite que mon studio reste de très petite taille. Diriger des gens, cela ne m’intéresse pas. Mais faire des projets, oui.
    Garder cette taille est pour moi fondamental, car cela me permet de choisir mes projets. Il n’y a aucun projet que je considère comme “commercial”, dans chaque projet il y a un ferment pour innover, faire avancer les choses et aller vers le contemporain.

    Quelle est votre méthode de travail habituelle?
    La parole, la discussion avec le commanditaire, puis je réfléchis seule. Puis, à nouveau, une phase de rencontre.
    Je ne fais pas les projets pour moi, pour mon plaisir propre, mais tout d’abord dans une collaboration et un échange avec le commanditaire: j’essaie de traduire et transcender – parfois ou peut-être – leurs désirs. Après, le projet ne fonctionne uniquement dans sa relation d’usage avec l’utilisateur final, dans ce qu’il développe, permet.
    Je n’envisage pas mon travail comme une œuvre ou quelque chose qui se déploie.

    Fréquentez-vous les blogs et sites Internet consacrés au design, et si oui lesquels?
    Très rarement, je préfère m’évader.

    Y a-t-il un ou plusieurs designers, ou créateurs, qui vous inspirent au quotidien?
    Le mot inspirer n’est peut-être pas adapté. Mais il y a des figures que je respecte Oscar Niemeyer ou Bruno Munari. Je me sens spirituellement très proche de Nanna Ditzel mais ses champs d’intervention étaient plus limités. C’est formidable ce qu’elle a produit en regard du contexte de l’époque.
    Et puis je n’oublie pas que si je peux faire ce que je fais aujourd’hui, c’est grâce à toutes les portes que Philippe Starck a ouvert pour notre génération.

    S’il y avait une chose à changer dans le design?
    S’atteler à penser une histoire du design autonome qui dépasse l’historiette des formes du mobilier. Que le design devienne une vraie discipline.

    Quelle est la commande que vous aimeriez vous voire confier?
    Je n’ai aucun rêve, si c’est de celui de pouvoir exercer ce métier avec la même liberté. Je ne peux rêver que de rencontres, pas de projets.

    De votre point de vue, le métier de designer est-il enviable aujourd’hui?
    L’envie est un sentiment auquel je n’aspire pas.

    Pour finir, un livre, un site Internet, un film, une découverte récente… que vous auriez envie de partager avec nous?
    Le livre d’Alice Feiring, La bataille du vin et de l’amour, édité par Jean Paul Rocher. Le mot vin pourrait quasi être remplacé par le mot art, ou… design. C’est un livre qui porte constat, débat, miroir de notre monde.

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    Quelques projets de Matali Crasset:


    Happy bar, Bar de l’hôtel Hi. Hi hotel – Nice. Photo © Patrick Gries.


    La cantine de la ménagerie de verre avec les fauteuils et la table de la collection Instant pour Moustache. La ménagerie de verre. Photo © Jérôme Spriet.


    Instant seat (2009). Fauteuil bas, contreplaqué de hêtre. Editeur Moustache. Photo © Tania & Vincent.


    Compo’sit. Canapé 2/3 places. Editeur Dunlopillo . Photo © Dunlopillo.


    Maison des Petits. Le 104, Paris. Photo © Jérôme Spriet.


    La lampe Foglie pour Pallucco. Photo © Pallucco.


    Echappée verte. Verre de dégustation pour l’huile d’olive. Ganduy gallery. Photo © Cécil Mathieu.


    matali crasset + Pierre Hermé. Les essentiels de pâtisserie. Alessi. Photo © Benjamin Winkelmann, Alessi.


    Dar’Hi. Maison d’hôtes à Nefta, Tunisie. Photo © Jérôme Spriet.


    Chambre d’ami. Editeur Campeggi. Photo © Campeggi.

    Pour en savoir plus: www.matalicrasset.com

    Voir d’autres projets de matali crasset sur La Revue du Design.

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    9 commentaires

    1. waldezign dit:

      J’aime bien Matali et sa simplicité. Je n’ai pas tout à fait la même approche formelle (un peu trop cartésien, hélas), mais j’aime assez son état d’esprit… détaché. C’est une personne à suivre…

    2. Elodie - Sleek design dit:

      Extra ! Merci Alex. Elle entretient donc la singularité de son travail en ignorant la tendance (et les blogs design ;-) ) ?
      Il faut vite aller visiter le musée municipal et éphémère de Den Bosch : mobilier, circulation, signalétique, charte graphique signés MC. Le musée va déménager, et les lieux seront repensés. Du Crasset dispersé aux enchères, peut-être ?
      http://www.sm-s.nl/

    3. Prof Z dit:

      @Elodie – Sleek design :
      Combien de fois ai je lu dans des interviews: je ne lis pas la presse surtout pas les magazines deco et design , je ne regarde pas les blogs deco et design …. Les tendances ne m’interessent pas et pour l’inspiration de ne citer que les maîtres morts ou presque ou des createurs non concurrents…. dans d’autres secteurs. Comme si les vivants ceux qui créent ou qui écrivent n’existaient pas. Un designer auteur autiste enfermé dans « une bulle d’irréalité » , en quelque sorte …. dessinant seul sans collaborateur ou alors des muets qui ne disent pas ainsi ce qu’on ne veut pas entendre.

    4. Jesse dit:

      @Prof Z.
      Tu n’as pas l’air d’être d’accord avec ce principe? moi je trouve ça très bien. A trop regarder la tendance on finit par devenir un re-suceur comme Arik Lévy!! Si on veut garder un imaginaire propre, il me parait logique de regarder ailleurs que chez ses concurrents. Et Matali a l’air de bien aimer faire des rencontres, ce qui montre qu’elle n’est pas du tout déshumanisée comme tu le sous-entends.

    5. maupado dit:

      Matali Crasset en conférence, c’est l’évidence de la sincérité et d’une exigence de chaque instant. Formellement, pour l’instant et pour la plupart de ses propositions, je passe complètement à côté, et je ne sais pas pourquoi. Mais la limpidité lumineuse de ses concepts ne se trouble jamais. Matali Crasset est importante.

    6. waldezign dit:

      Pas d’accord et d’accord à la fois avec Jesse: regarder, lire, observer les tendances donne des références, des pistes. On est pas nécessairement copieur pour autant, notamment si on possède un sens critique aiguisé.
      Comme Maupado, je ne suis pas forcément fan de son approche formelle, plus de son approche globale. « Matali Crasset est importante ».

    7. phil dit:

      Les formes me paressent « limpides et transparentes ». Son approche globale me paraît « limpide et transparente ». C’est son style et sa personnalité.
      Parfois cela pourrait manquer de « profondeur » que son look ne peut suffire à compenser.

    8. Georges dit:

      Ce début de XXI ème siècle est important car ce qu’on appelle parfois les TIC (Techniques d’Information et Communication) et parfois la question simpliste Internet est il mutagène renvoient à des fondamentaux existentiels. Quand un designer crée il le fait en fonction du niveau de modélisation de sa propre conscience dont normalement il a conscience mais parfois pas car il est un peu perdu entre le Je, l’Ego, le Moi, l’esprit, le Mental, le niveau de conscience…au sein d’une Conscience collective. Les problèmes planétaires actuels (croissance verte, recherche de la paix mondiale, vérité des démocraties…) et l’intégration progressive de la Psychologie vulgarisée renvoient le créateur designer à son positionnement et sa participation créatifs et sémantiques dans ses propres réalisations concrètes. Beaucoup de projets c’est sympa mais un seul fort et qui parle au présent en pensant l’avenir de nos enfants c’est important…heu…primordial…

    9. waldezign dit:

      Je retombe par hasard sur cet ITW de matali, et j’en profite pour saluer encore son travail. J’ai eu la chance et l’honneur de la rencontrer il y a quelque temps pour un projet via mon entreprise, et j’ai été très impressionné par sa rapidité d’exécution, et la justesse de ses propositions dans un contexte nouveau pour elle et assez contraignant.
      Ses projets n’ont hélas pas été retenus, ce que je déplore, mon projet interne ayant été finalement préféré, suite à une enquête marketing assez sommaire.
      Seule la fierté d’avoir « battu » ses propositions sur le fil compense ma frustration de n’avoir pu développer un produit en sa compagnie… Une vraie occasion manquée. :(

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