• Design pulp: la ringardise

    Par Clément Gault.

    En deuxième ressort du design pulp, la ringardise tient une place particulière car ce ressort est le seul à se baser sur un jugement du valeur. L’article précédent sur la nostalgie évoquait des objets emblématiques des décennies précédentes et déclinés aujourd’hui par certains designers. Ceux qui vont suivre parleront d’un effet recherché: la provocation (rejet ou adhésion) et l’illusion de faire du design. Après tout, la ringardise est une question de goût et le simple fait de qualifier ce ressort par son attrait pour le désuet devrait en partie discréditer mes propos. Mais qu’importe.

    L’intérêt manifeste dans le design pulp pour le ringard est de jouer sur le décalage avec un élément culturel auquel le design n’est pas spontanément attaché. Jouer avec la ringardise pour les designers concernés s’envisage un peu comme les codes vestimentaires du hipster.

    Pour rappel, le hipster est “le nouveau sociotype fourre-tout” fort utile pour désigner les personnes se revendiquant en marge de la culture dite mainstream. Aussi, la caricature vestimentaire de monsieur hipster, c’est un aspect négligé, une pilosité faciale assumée et la fameuse chemise à carreaux. Le décalage qui le caractérise ici provient du fait que ces attraits vestimentaires sont en marge avec sa génération et sa catégorie socio-professionelle: le hipster est relativement jeune et financièrement à l’aise. Quiconque issu du milieu ouvrier et passé la quarantaine portant des chemises à carreaux avec une barbe négligée ne passerait pas pour un hipster mais pour exactement l’inverse je pense.

    En jouant une fois de plus sur le décalage, le design pulp éprouve une recette qui a depuis longtemps fait ses preuves. Néanmoins, il s’agit plus ici d’un jeu de mise en scène que d’une réappropriation fonctionnelle ou esthétique qui était à l’œuvre avec les effets de nostalgie que j’ai déjà évoqué. Deux exemples vont compléter l’article: la moustache et le trophée de chasse.

    Soyons clair, la moustache est soit portée par les personnes d’un certain âge, soit par les hipster. Comme pour la brique Lego, il ne s’agit pas de poser simplement une moustache sur un produit, comme un quelconque symbole graphique. Ainsi dans le design pulp, jouer avec la moustache revient à une mise en scène teintée de dérision concernant le port de cet attribut typiquement masculin.

    Le ressort est en définitif toujours le même: l’objet dans son utilisation suggère le port de la moustache. Il en va ainsi pour Peter Ibruegger avec un jeu de mugs, d’Avril Loretti avec des serviettes, ou de l’éditeur Atypyk avec des crayons. Il y a toutefois des propositions un peu plus originales comme pop’s stache, une sorte d’ergot en forme de moustache qui vient se clipser sur le goulot d’une bouteille.

    Second exemple, le trophée de chasse. Pour des raisons que j’ignore, il a ces derniers temps eu le droit à un traitement particulier et soutenu par nombre de designers. Comme l’aspect un tantinet ringard de la moustache, le trophée de chasse l’est tout autant dans un intérieur. La chasse n’est plus il me semble autant pratiquée qu’autrefois mais je ne préfère pas m’étendre sur ce sujet. La mise en scène du trophée de chasse est donc du même acabit que la moustache.

    Par contre-emploi, le designer l’évoque dans les objets de designpulp qu’il imagine. Classiquement, le trophée devient luminaire : c’est le cas par exemple chez Si Studio mais aussi ailleurs. Le trophée est aussi détourné en crochet comme le propose Puhlmann ou d’autres. Pour Jeoren Wesselink, un tabouret devient un trophée lorsqu’il est rangé, soit accroché ou mur. Oki Sato utilise les bois d’un cerf dans une applique à poser autour d’une prise électrique, et ce afin de porter un téléphone en charge. Akamayo imagine un vase à appliquer au mur, reprenant la tête d’un cervidé et où les fleurs font office de bois. Sortant un peu plus des propositions précédentes, Atypyk reprend uniquement le socle pour en faire une planche à découper.

    Cependant, il semble que l’utilisation de la moustache ou du trophée dans le design pulp soit aujourd’hui un peu passé de mode. Ce qui en définitif tend à valider mon hypothèse que ces objets sont le reflet d’une mode ou d’une tendance et non pas vocation de durer.

    Cet article est également paru sur le blog de Clément Gault:
    designetrecherche.org.


    1 commentaire

    1. Alain dit:

      Les conclusions de tes recherches universitaires me paraissent fortes intéressantes.
       » Ces objets n’ont pas vocation de durer ».
      Penses-tu poursuivre ce genre de recherches pour savoir si d’autres objets n’ont pas vocation de durer?
      Cela pourrait faire avancer la pensée design de manière très remarquable.

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