• La place du design dans trois pays européens UK, France, Italie : une explication de la compétitivité internationale ?

    Par Estelle Berger.

    Un lieu commun répandu voudrait que, pays charnière, la France peine à trouver sa conception du designer, entre un profil technique d’ingénieur à l’anglo-saxonne, et une vision plus romantique du designer-artiste, répandue dans les pays latins. En France, on est souvent prompt à critiquer un paysage supposé éclaté et discordant, qui ne serait pas favorable à la reconnaissance du design.

    Si cette hypothèse se vérifiait, ce contexte pourrait-il avoir permis le développement d’un design « à la française », construit dans un rejet / une synthèse des modèles développés ailleurs?

    Nous devrions alors pouvoir dessiner – en creux ou en plein – une spécificité française.

    Prend-elle la forme d’un manque, comme les lieux communs souvent entendus le suggèrent (« En France, on manque d’une culture de l’innovation »…)? Ce manque théorique est-il au contraire une force; ou une simple apparence trompeuse?

    Pour répondre à cette problématique, nous allons comparer différents critères permettant de juger de l’intégration et de la reconnaissance du design dans trois pays d’Europe: la France, notre champ d’étude, le Royaume-Uni, représentatif des pays anglo-saxons, et l’Italie, pays latin.

    Nous examinerons des données ayant trait au contexte historique de développement du design, à l’offre de formation (professionnalisante et académique), au panorama professionnel du design et de l’innovation, et enfin aux initiatives de promotion du design.

    Approche historique

    Le mot design vient du latin designare: marquer d’un signe distinctif. Pendant la Renaissance italienne, cette racine est réinterprétée sous la forme du concept disegno, qui signifie idée / projet associé à sa mise en forme. En parallèle, dans la langue anglaise, le verbe to design prend le sens de concevoir. C’est aussi un nom, signifiant l’intention.

    Design fait son apparition dans la langue française au début du 20e siècle, comme hybride employé pour signifier à la fois dessein et dessin. Ce mot permet de retrouver la richesse sémantique du concept de disegno, qui n’avait pas d’équivalent en français. Mais entre temps, c’est le monde anglo-saxon qui a popularisé le terme design, et le mot passe auprès de beaucoup de français pour un anglicisme, d’autant plus injustifié que le métier de designer est alors très mal reconnu en France. Dans les années 50, Jacques Viénot propose de le remplacer par l’expression esthétique industrielle, ouvrant la voie à plusieurs tentatives de même sorte, comme celle de la loi Toubon de 1994 qui proposait de remplacer le terme design par stylique. Mais ce mot, faisant l’impasse sur la dimension réflective, conceptrice du design (sur le dessein), fait l’objet d’un rejet sans appel auprès de la communauté professionnelle émergente des designers. Si aujourd’hui le terme design est largement employé en France, et même en passe d’être compris du grand public, il reste un fond de polémique qui a amené à d’autres tentatives plus récentes de traduction, parfois approximatives. En 2010, l’INSEE a même essayé de supprimer le terme design de sa nomenclature afin de le traduire par concept

    A partir de cette brève introduction étymologique, nous pouvons nous demander si la légitimité du mot est révélatrice de la légitimité de la discipline. Y a-t-il, en Italie et dans les pays anglo-saxons, des racines et une identité spécifique du design qui manquerait en France? A priori, le développement historique du terme suggèrerait, du côté italien un contexte lié au génie artistique, dans la droite lignée de la Renaissance; et du côté anglo-saxon un parallèle étroit entre design et activité de conception, avec des implications plus techniques.

    Poursuivons notre parcours historique en considérant les théories et modèles développés au 20e siècle autour du design. Emmenée par la Révolution industrielle, c’est l’Europe qui a été précurseur en la matière, et en particulier deux nations – nous retrouvons les anglo-saxons (1) et les italiens.

    On doit la première théorisation autour du design aux avant-gardes germaniques des années 20/30 DeStijl et le Bauhaus. Il est alors courant d’associer pratique artistique et engagement politique, notamment à travers la recherche de l’Œuvre d’art totale (ou Gesamtkunstwerk). Les arts appliqués apparaissent alors comme un moyen de mettre l’art au service d’ambitions humanistes, et améliorer la vie de tous. L’influence de ces mouvements fait évoluer le design vers le style Moderne, empreint de préoccupations fonctionnalistes, dans toute l’Europe mais aussi aux Etats-Unis où de nombreux designers allemands se sont réfugiés durant la seconde guerre mondiale. Dans les années 60, l’école d’Ulm, en Allemagne toujours, propose une actualisation de cette conception du design où « form follows function », dans un idéal d’accessibilité à tous. Au-delà, son projet était politique, il établissait une ambition citoyenne du designer dans le cadre de la société de production de masse: apprendre le métier de designer, à Ulm, c’était apprendre à assumer des responsabilités sociales et culturelles. Les textes produits dans ce cadre (programmes d’enseignement, discussions posées par l’écrit, conférences et interventions…) ont construit un modèle, une posture du designer.

    Mais les préceptes fonctionnalistes seront rapidement vus comme austères et uniformisants. Dans les années 60, on assiste à un revirement dans la conception des objets, qui devient guidée par la recherche d’individualisation et de personnalité. L’époque est dite post-moderne, et les créateurs italiens (le mouvement Memphis, Gaetano Pesce) remettent au centre du design la référence historique, la pièce unique ou encore l’humour. Chacune de leur pièce, objet ou mobilier, devient un emblème de cette vision du design comme moyen d’émouvoir ou de provoquer le public. Au travers de projets manifestes et d’une liaison permanente entre textes et objets, textes et projets, les post-modernes italiens ont travaillé à construire l’autonomie de leur discipline, établissant le designer comme créateur de récits donc de formes.

    Ces deux moments, ces deux zones géographiques, ont donné lieu à des conceptions du design plutôt antagonistes. Mais un dialogue s’est créé, mettant en jeu le design de manière polémique, tout en s’accordant sur l’essentiel: premièrement, la posture, l’engagement nécessaire du designer, même si les modes opératoires diffèrent. Deuxièmement, l’autonomie du design, le designer comme généraliste, capable d’assumer un rôle critique. Ces deux dimensions d’enchevêtrant bien évidemment.

    En France, que se passe-t-il pendant ce temps? Au niveau théorique, aucun modèle majeur n’émerge. Les designers suivent le courant de l’époque, quitte à se contredire au fil de leurs projets, à l’instar de Philippe Starck, qui s’est érigé en icône nationale. Mais à l’inverse des théories, dont la validité est garantie par une logique démonstrative, le discours de Starck et des designers médiatiques qui occupent le devant de la scène en France est essentiellement performatif: dire c’est faire. « Le dire célèbre revient à le rendre célèbre. Un irrésistible effet boule de neige s’est construit autour du designer tout au long de sa carrière. » (2) Ce type de communication médiatique ne participe évidemment pas à la construction de la discipline au même titre que les exemples précédents…

    Tout au long du 20e siècle, la France n’a donc pas été un acteur de premier plan dans la construction théorique et épistémologique de la discipline design, au contraire de l’Italie ou du Royaume-Uni. Aucune avant-garde, aucun mouvement notable n’y a émergé, et, après de plus de 100 ans de pratique du design industriel, le terme lui-même reste flou. Il est des retards qui ne se rattrapent pas, et l’existence d’un socle théorique puissant aurait certainement aidé le design français à mieux se développer et se faire reconnaître.

    La formation des designers

    On ne manque pas d’écoles enseignant les disciplines du design en France. Le pays compte même 18 établissements membres du réseau Cumulus (3), association internationale d’universités et écoles d’Art, Design et Medias, fondée en 1990. C’est plus que le Royaume-Uni (11 écoles) et que l’Italie (7 écoles).

    La première mission des enseignements aux futurs designers est de les préparer à l’exercice de leur profession, par l’acquisition de savoir et savoir-faire spécifiques (gestion d’un projet créatif, maîtrise des outils…). Mais il est périlleux de tenter de juger la réputation des écoles au regard de ces critères, car on ne peut pas affirmer qu’il existe un déterminisme entre l’orientation et/ou la qualité des enseignements d’une part, et la réussite des étudiants de l’autre. Trop de facteurs tenant à la personnalité, au talent et à l’implication personnelle de ceux-ci entrent en compte.

    En revanche, les écoles peuvent monter la volonté d’offrir des enseignements complémentaires, permettant aux futurs designers d’accéder à un rôle plus décisif dans l’entreprise, la société ou la construction épistémologique de la discipline. Ces enseignements peuvent être de deux ordres: l’ouverture à la Recherche académique en/sur le design, et le développement de compétences managériales chez le designer.

    Du côté académique, la Recherche en design est en France une discipline émergente, alors qu’elle se développe dans d’autres pays depuis plus de 10 ans. Et de fait, les publications traitant du design et des arts appliqués en général y sont en plus petit nombre. Pour preuve, une recherche par mots clés effectuée sur le site de la Bibliothèque européenne parmi les thèses publiées depuis 2008, toutes disciplines confondues (4):

    Mot clé recherché Royaume-Uni

    (British Libaray)

    France (BNF) Italie (Bibliothèques de Rome et Florence)
    Design 81940 * 26 24027
    « Product design » 893 0 206
    Conception 2276 195 1964
    Conception + Design 124 0 18
    « Applied arts » 350 3 172

    * Vue la large acception du mot design dans la langue anglaise, il apparaît plus judicieux d’observer les autres mots clés.

    A la lecture de ces chiffres, on remarque en premier lieu la faible pénétration du terme design dans la langue française: 26 occurrences seulement contre plus de 24000 en italien… Le mot conception est lui aussi très peu présent, environ 10 fois moins que dans les autres pays observés, alors qu’il a partout le même sens. Il est tout de même 7.5 fois plus cité que design (le rapport est inverse dans les autres pays), mais jamais en association avec celui-ci… Cette absence de corrélation entre design et conception peut suggérer que l’activité de conception dans l’entreprise française est tournée vers une ingénierie traditionnelle. Enfin, notons la criante inexistence de la mention design produit et la quasi-absence des Arts appliqués en général (3 mentions seulement).

    D’autre part, de nombreux indicateurs pointent un manque d’implication des écoles françaises dans l’enseignement de compétences managériales appliquées au design. Or, celles-ci sont importantes pour le développement de la discipline car elles donnent aux designers une stature de décisionnaire. Des études sont régulièrement menées auprès de professionnels internationaux, pour recueillir leurs avis sur les « meilleures » écoles. Une des dernières a été menée par BusinessWeek (5), auprès de 42 responsables académiques, designers, consultants, et chefs d’entreprise. 115 écoles ont été spontanément citées comme délivrant les meilleurs masters et MBA combinant enseignement du design et de compétences managériales.

    Royaume-Uni University of the Arts London

    Formation: Master’s in design in innovation and creativity in industry

    Imperial College London

    Formation: MBA

    Royal College of Arts / Imperial College London

    Formation: Dual degree innovation design engeineering

    France – USA – Singapour Art Centre College of Design / INSEAD

    Formation: Master’s in industrial design

    Italie Domus Academy

    Formation: Master’s in business design

    La seule mention de la France correspond à l’INSEAD, Institut européen d’administration des affaires, mais dans un partenariat avec le Art Center College of Design localisé à Pasadena, en Californie. La formation en question est donc américaine et non française. Ce qui porte à 0 la présence d’établissement français dans le classement.

    Pour l’Italie, un des 10 cursus design de la Domus Academy est sélectionné. Et au Royaume-Uni, ce sont trois écoles qui entrent dans le palmarès: l’une à orientation scientifique (Imperial College), les deux autres artistiques (University of the Arts, Royal College of Arts). Outre le fait que toutes trois sont situées dans la même ville, Londres, on remarque qu’il s’agit d’universités plus généralistes, offrant une grande diversité de formations et de partenariats.

    La bonne réputation de la formation anglo-saxonne en design et management s’explique peut-être par ce tissu éducatif. Au Royaume-Uni comme dans un grand nombre de pays, les enseignements en design sont prodigués dans le cadre d’universités d’art ou polytechniques, qui incluent un grand nombre de disciplines (comme le Royal College of Art justement, ou la Politecnico de Milan pour l’Italie).

    A l’inverse, en France, les designers sont plutôt formés dans des écoles spécifiques. L’offre de formations universitaires ou de doubles cursus est encore faible. Ce paysage français, éclaté, induit une variété des profils des écoles. Ainsi, l’approche artistique des écoles d’art ou de l’ENSAMAA se distingue de la forte imprégnation industrielle de l’ENSCI ou de l’Ecole Boulle. A cela s’ajoute la diversité des tutelles: certaines écoles de design dépendent de Ministères (de l’Industrie, de la Culture, de l’Education Nationale), d’autres des collectivités locales, ou des chambres de commerce et d’industrie.

    On devine que cet éclatement ne facilite pas la lisibilité de l’offre de formations, en premier lieu pour les étudiants. Et aussi réputées que peuvent être certaines écoles dans le monde professionnel français (l’ENSCI, l’Ecole Boulle par exemple), on ne peut nier qu’elles subissent un isolement qui freine leur reconnaissance internationale et stratégique.

    Le panorama professionnel

    Si les formations françaises semblent donc encore faibles pour imposer le designer comme décisionnaire de premier plan, qu’en est-il effectivement dans l’entreprise? Les indices recueillis jusqu’ici nous poussent à penser qu’il existe un manque de reconnaissance de la fonction design en France, par rapport au Royaume-Uni notamment. Les résultats d’une étude commanditée en 2008 par la Commission Européenne, portant sur les performances des pays européens en matière d’innovation (6) vont d’ailleurs dans le sens des lieux communs répandus en la matière. Les différents pays d’Europe y sont catégorisés en trois groupes:

    Innovation leaders Suède, Finlande, Allemagne, Danemark, Royaume-Uni
    Innovation followers Pays-Bas, France, Belgique, Luxembourg, Irlande, Autriche
    Moderate innovators Italie, Grèce, Portugal, Espagne, République Tchèque, Slovénie, Estonie, Chypre

    Cette hiérarchie dessine une cartographie assez nette, entre pays nordiques / anglo-saxons tournés vers l’innovation; et pays latins / de l’Est beaucoup moins performants en la matière. A l’image de sa position géographique, la France se trouve en position médiane.

    Ces résultats sont en conformité avec ceux du Baromètre de l’innovation 2012, étude commanditée par General Electric (7) auprès de 2800 managers innovation / design d’entreprises de différents secteurs, en Europe, Asie, Amérique et Moyen-Orient:

    Royaume-Uni France Italie
    Citation spontanée parmi les 3 pays considérés comme leaders en innovation 9%

    (dont 2% placé en tête)

    7%

    (dont 1% placé en tête)

    3%

    (dont 1% placé en tête)

    Le Royaume-Uni, en digne représentant des pays anglo-saxons, est en tête de l’échantillon observé. Il est particulièrement intéressant de noter que deux autres pays anglo-saxons sont en tête du classement: les Etats-Unis (64% de citations dont 34% placé en tête) puis l’Allemagne (48% dont 16% placé en tête); viennent ensuite plusieurs pays d’Asie. De retour en Europe, la France légèrement en-dessous du Royaume-Uni, et l’Italie est plus largement distancée.

    Mais il ne s’agit jusqu’ici que de perception, qu’en est-il dans les faits? L’une des composantes pour mesurer l’innovation est le nombre de dépôt de brevets. Sur ce point, la France se place au 3e rang mondial, représentant 11% des brevets mondiaux, alors que l’Italie mais aussi le Royaume-Uni se trouvent absents du top 9.

    La France bénéficie également d’un fort investissement d’état dans la Recherche & Développement, comme le montre ce comparatif:

    Royaume-Uni France Italie
    Part du PIB consacré à la R&D industrielle (9) 1,76 2,12 1,1

    L’investissement français est le plus important des trois pays étudiés, il représente même le double de l’Italie, suggérant une relative continuité entre investissement et innovation effective. Relative seulement, car malgré moins d’investissement, le Royaume-Uni est considéré comme leader en innovation.

    Du croisement de ces études, nous pouvons esquisser un podium de l’innovation industrielle, sur lequel la France obtiendrait la seconde place européenne, entre un pays reconnu comme innovant, le Royaume-Uni, et un autre peu performant, l’Italie. Mais l’innovation n’est qu’une composante de l’intégration du design dans l’entreprise, voyons si d’autres critères en termes de design au sens plus large corroborent ces premiers résultats.

    L’étude « Design et innovation technologique: quels avantages comparatifs pour la France? » menée par la CCIP en 2010 (8) demandait à 400 acheteurs professionnels européens de noter les produits des principaux pays industriels selon différents critères autres que le prix. L’un de ces critères, « design-ergonomie » prend en compte l’esthétique et la présentation, mais aussi la fonctionnalité et la valeur d’usage. Examinons le classement des productions nationales de nos trois pays de référence selon ce critère:

    Royaume-Uni France Italie
    Qualité design-ergonomie de l’ensemble des biens de consommation 7 e 2 e 1e
    Qualité design-ergonomie des biens d’équipement 6 e 5 e 2e

    Ici, c’est l’Italie qui réalise les meilleurs scores. Le design italien, déjà premier pour les biens de consommation, se trouve juste derrière le premier pour les biens intermédiaires et d’équipement, ce qui constitue une très remarquable performance d’ensemble. Ces résultats confirment la qualité du design et du tissu industriel italien, malgré le peu de reconnaissance dont le pays jouissait en termes d’innovation.

    A l’inverse, le Royaume-Uni occupe une modeste place dans le classement, pour tous types de biens. Ce résultat peut sembler étonnant pour un pays qui a de si bons résultats en innovation, mais il ne faut pas oublier que cette étude porte sur les productions nationales seulement, ce qui n’est qu’un aperçu partiel des produits et services conçus au Royaume-Uni.

    L’ensemble des biens de consommation produits en France se place en 2e position, une place honorable. Mais en ce qui concerne les biens d’équipement, notre pays chute au 5e rang. Cet écart d’appréciation entre design des biens de consommation et d’équipement est intriguant car spécifique à la France, l’Italie et le Royaume-Uni obtenant des scores plus homogènes. Cela signifie t-il que le design des produits plus techniques est laissé en France aux bons soins des seuls ingénieurs? Cette explication irait dans le sens des relativement bons résultats de la France en innovation industrielle, tempérés par une faible conscience du design.

    Or, comme nous le pressentions, l’innovation n’est pas un critère suffisant pour juger du design, même industriel. Ainsi, avec un investissement en R&D de moitié plus faible que la France, l’Italie arrive à une production dont le design est considéré comme plus qualitatif.

    Pour comprendre le phénomène, il faut aussi prendre en compte l’écart entre conditions objectives et perception concrète. Si, au regard de tous les critères que nous avons cités, la France n’a pas à rougir face au Royaume-Uni, le ressenti à l’intérieur des deux pays est bien différent. Ainsi, dans cette seconde partie du Baromètre de l’innovation 2012 (9), une question aux managers portait sur leur perception de leur propre pays:

    Royaume-Uni France Italie
    L’environnement dans mon pays est bénéfique à l’innovation 51% 49% Pas de données
    Quelle est la réputation de mon pays en termes d’innovation? Très bonne 19% 1%
    Plutôt faible / faible 15% 25%
    Les entreprises innovantes permettent d’améliorer la qualité de vie dans mon pays 71% 64%

    Un quart des managers français pense que leur pays est faible en matière d’innovation, et seul 1% d’entre eux a une vision très positive du contexte français! Or il n’y a pas de critère rationnel qui explique ce pessimisme. A l’inverse, c’est peut-être ce dernier qui devient sclérosant pour les praticiens français…

    Les organismes de promotion du design

    Au Royaume-Uni, la mission de promotion et de soutien au design est centralisée au sein du Design Council, créé en 1944. L’organisme est même subventionné par le gouvernement à hauteur de 9 millions d’euros annuels. En Italie, ce rôle est scindé entre différents acteurs selon les différents métiers du design global. Pour le design produit, il revient à l’ADI (Associazione per il Disegno Industriale). Cette association a une mission proche de celle de l’APCI en France, elle organise notamment le prix Compasso d’Oro (la plus ancienne récompense internationale de design), similaire à l’Observeur du Design porté par l’APCI. Elle fonctionne également comme un syndicat.

    La France, elle, s’écarte de ce modèle présent dans de nombreux pays d’Europe, caractérisé par une structuration des actions de promotion du design autour d’un centre national du Design, acteur majeur de la promotion auprès des professionnels, des entreprises comme du grand public.

    Le paysage français apparaît d’emblée comme plus éclaté. L’APCI, structure entièrement privée, mène donc une action de promotion du design, ou plutôt de la « création industrielle ». Mais d’autres organismes lui disputent ce rôle, comme le VIA (dans le domaine du mobilier), l’IFD (qui décerne les labels Janus, voisins des Etoiles de l’Observeur du Design), la Cité du Design ainsi que d’autres d’organismes régionaux (le CDRA en Rhône-Alpes, 4design en Aquitaine). A cet inventaire s’ajoutent les syndicats, AFD ou FéDI, dont la ligne d’engagement est difficile à différentier.

    A l’instar des écoles, l’éclatement du paysage français cause un manque de cohérence – à moins qu’il ne soit à l’inverse une conséquence du manque d’initiative cohérente à l’échelle nationale. L’absence de synergie entre les différents acteurs français est d’autant plus regrettable que ceux-ci apparaissent d’envergure limitée au regard des structures de promotion du design dans d’autres pays. Méconnus du grand public, chacun lutte dans son coin pour la reconnaissance de sa politique et de ses actions.

    Conclusion

    L’étude de ces données disparates nous a permis de construire un état des lieux des divergences en matière d’emploi du design dans trois pays européens, le Royaume-Uni et sa culture anglo-saxonne, l’Italie et sa culture latine, et enfin la France.

    De ces résultats, il ressort d’abord que chaque pays est encore aujourd’hui déterminé par un héritage différent en matière de design. Si le Royaume-Uni et l’Italie ont, dès le début du 20e siècle, hébergé des mouvements qui ont participé à la construction du design, la France est restée en retrait et souffre encore d’un manque d’enracinement de la discipline.

    De l’étude sur le design et l’innovation en milieu industriel, ressort que la France a plutôt fait le choix d’une R&D « traditionnelle », tournée vers l’ingénierie plus que le design. Cela a été un gage d’excellence, et plusieurs entreprises françaises jouissent de bonnes performances à l’international en termes d’innovation industrielle (comme Airbus, PSA, Renault…). Mais aujourd’hui, un contexte de plus en plus mouvant et compétitif exige d’aller plus loin. Et le pays apparaît comme dérouté, voire démotivé. Au regard de notre étude, le légendaire pessimisme français semble bien réel. Alors que la France a parmi les dispositifs d’aide à l’innovation les plus incitatifs du monde, elle n’y croit pas. Or, pour innover, il faut d’abord croire que c’est possible.

    Intégrer le design à un niveau stratégique est une piste pour la France. Cela lui permettrait d’évoluer d’une culture d’ingénierie traditionnelle dépassée qui a fait d’elle un pays suiveur, vers une vraie différentiation et une valeur ajoutée des créateurs et des produits « designed in France ».

    Mettre l’accent sur la formation des designers permettra en premier lieu l’essor d’une communauté de professionnels solide. Dans cette optique, notre étude dégage deux pistes: développer un enseignement croisé design et business d’une part, structurer et soutenir les études doctorales en / sur le design d’autre part. Ces deux dimensions, stratégique et épistémologique, donneront une assise et des ressources riches au design français.

    A l’échelle plus large de la société, nous avons aussi remarqué que les initiatives de promotion du design, à l’instar de l’offre de formations, sont caractérisées par un manque de lisibilité et de structuration. Le morcellement visible dans les codes NAF des métiers du design, les organismes professionnels, les ministères de tutelle… fait perdre du temps, de l’efficacité et de la visibilité au design français. En bref, le pays manque à l’évidence d’un design (dessein, but, et dessin, mise en forme) de sa politique de développement et de soutien au design!

    Les autorités auraient-elles enfin pris conscience de cette lacune? Le 9 janvier dernier, en clôture de la 9ème conférence européenne sur les enjeux du design en Europe, le ministre français de l’Industrie Eric Besson annonce justement la création d’un « Centre national du design » dès 2012.

    Son enjeu sera « d’affirmer le rôle stratégique du design dans l’économie, d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises grâce à l’apport du design dans leur stratégie et de permettre aux métiers du design de se développer ». Ce Centre national sera conçu comme une « plateforme du design en France » et un centre de ressources à la disposition des professionnels, designers et entreprises. Il aura notamment pour missions d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises grâce au design, de soutenir les métiers du design, et d’améliorer la visibilité du design français à l’international. Initiative louable, mais dont les ordres de mission ne se démarquent pas de celles des organismes existants comme l’APCI, le Lieu du design et autres que nous évoquions plus haut dans l’étude. Mais on apprend également d’Eric Besson que ce nouveau Centre du design sera en fait une émanation de l’APCI (avec le maintien de son équipe dirigeante actuelle), subventionnée à hauteur de 1 million d’euros en 2012 (soit 8 fois moins que ce que reçoit le UK Design Council), et qu’il devra travailler en partenariat avec tous les acteurs de l’innovation et du design: organisations professionnelles, fédérations professionnelles de l’industrie et des services, organismes de promotion sectoriels ou dans les régions (qui n’auraient pas été consultés).

    Alors, vrai changement ou effet d’annonce? Démarche de design, ou simple « restyling » de l’existant? Il faudra quelques années pour pouvoir en juger, mais une chose est sûre, ce « nouvel » organisme hérite déjà de nombreuses polémiques et querelles à dépasser…

    Notes:

    (1) La « culture anglo-saxonne » englobe le Royaume-Uni et les pays germaniques (Allemagne, Pays-Bas), mais aussi les Etats-Unis où de nombreux européens ont émigré au cours de la seconde guerre mondiale. Par souci d’équité, dans la suite de l’étude, nous considèrerons le Royaume-Uni comme seul représentant anglo-saxon.
    (2) BAUER C., Le cas Philippe Starck ou La construction de la notoriété
    (3) http://www.cumulusassociation.org
    (4) http://search.theeuropeanlibrary.org
    (5) http://www.businessweek.com/
    (6) Commission européenne – Tableau de bord européen de l’innovation 2007
    (7) par StrategyOne
    (8) http://www.etudes.ccip.fr/
    (9) Commission européenne – Tableau de bord européen de l’innovation 2007


    9 commentaires

    1. Alberto dit:

      Si l’on veut faire des comparaisons entre le modèle « latin » et le modèle « Anglo saxon », il est nécessaire l’aller au bout de ce raisonnement; et voir la mosaïque française. Et ne pas développer la seule « sensibilité » latine » en France.
      Ainsi le design dans les entreprises pme et grandes entreprises est-il « latin » ou « Anglo saxon »? Il est « Anglo-saxon » Pourquoi ne regarder et ne mettre en évidence que les entités latines?: Les organismes de promotion, les galeries, les indépendants, les expositiojs de « design », les musées etc ….
      Pour les écoles idem. Pourquoi ne mettre l’accent que sur les écoles « d’état »? ( régions et ministères) qui sont « latines »: les écoles d’arts et de design, l’ensci etc… et faire l’impasse sur des écoles « anglo-saxonnes »: Strate collége (Qui vient d’être racheté par le fond d’investissement de C&A anlo-saxon Ou Esdi ecole supérieure du design industriel ( Anglo-saxonne dans sa culture) devenue Créapole qui a inscrit dans son logo « création et management » depuis 20 ans!) et qui vient de racheter une école à New York. Ou l’école de Nantes, qui développe avec persèvèrence ses relations avec les cultures Anglo-saxonnes.

      Ceci n’est plus un vrai débat. C’est plus l’expression d’un étonnement. D’une ignorance. L’étonnement de ceux qui pensaient que le design était simple. Qu’il n’était que le design qu’ils connaissaient. ( le design latin) et qui découvrent qu’il y a un autre design qui ne leur a pas était présenté. Dont il ne connaissent que très peu de chose. Finalement que le Design est « duale ».
      Ce débat est dépassé et est construit sur l’ignorance de certains. Ce n’est pas le design qu’il faut promouvoir mais sa dualité. Tant qu’il sera fait l’impasse consciente ou inconsciente sur le design « Anglo_saxon » installé en France. Il n’y aura pas de débat sur le design. Mais juste l’expression étonnée d’une ignorance. Ignorance qui se perpétue et se cultive en France. Là est peut-être le vrai problème. Encore combien de temps allons nous, en France,avoir une information, une formation, incomplète et orientée. Qui fait croire à un débat mais qui n’est que blocage. Il n’y a pas débat. le design « anglo- saxon » est installé en France depuis au moins 60 ans. Et il est arrivé par les entreprises.

    2. La place du design dans trois pays européens UK, France, Italie : une explication de la compétitivité internationale ? | yume dit:

      [...] article sur le sujet paraît aujourd’hui sur La revue du design Commenter 0 réponses à ce post [...]

    3. Estelle dit:

      Alberto,

      Je ne sais pas si vous avez lu l’intégralité de l’article, car je n’y fais référence ni aux galeries, ni aux expositions et musées. Je ne comprends donc pas bien l’accusation de partialité en faveur d’une vision « latine ».
      En deuxième lieu, le but n’était pas d’inventorier, en France, les expressions du design d’un « côté » ou de l’autre (anglo-saxons : 2 points, latins : 1 point…) mais plutôt de décrire factuellement le paysage dans chacun des pays. Sans vision partisane, et sans prendre comme présupposés les clichés ayant cours sur ce qui est « latin » ou « anglo-saxon ».
      Oui, cet article est l’expression d’une « ignorance », car je crois que c’est en posant un regard comme vierge sur les choses qu’on les approche le mieux. A vous lire, vous semblez avoir une vision affirmée de ce qui est « latin » et ce qui est « anglo-saxon ». Mais est-ce une connaissance ou une opinion ?

    4. Alberto dit:

      Tu ne comprends pas l’accusation de partialité? Mais pourtant tu ne cites que l’école Boule et l’Ensci. Deux écoles « latines ». (Ne dit pas qu’elles sont industrielles!!!!!)
      Le design est reconnu dans les entreprises Anglo-saxonne comme tu l’écris. Oui! Les designers font du design Anglo saxon. Qui convient aux entreprises.
      Le design « latin » n’est pas reconnu dans les entreprises francaises. Mais le design « Anglo-saxon français » y est reconnu!
      Et les « designers latins français » se plaignent d’un manque de reconnaissance? C’est normal! Ils ne sont pas adaptés. Je sais! les « designers latins français » veulent que ce soit les entreprises qui aillent à eux. Et non pas le contraire. Et là est leur ignorance et l’explication de leur militantisme d’assistance.

      Tu as peut-être raison. Il faut poser un regard vierge sur les choses. Au commencement. Pour le commencement. Tu en ai au commencement dans ton article?

      Pour l’APCI, tu as pensé à regarder la composition de son conseil d’administration?

      PS: Est-ce une connaissance ou une opinion? Est-ce que le designer est dans la connaissance ou dans l’opinion à ton avis?
      PSS: je parlais d’expositions, de galeries, de musées… de » DESIGN »

    5. waldezign dit:

      Estelle, je n’ai pas encore fini l’article car je ne souhaite pas le lire en diagonale, cela dit, j’ai failli m’arrêter au passage sur l’ENSCI qui est tout sauf une bonne école de design au sens industriel du terme! Le terme est effectivement inapproprié en ce qui concerne cette école qui forme néanmoins des profils créatifs intéressants pour l’industrie, mais en tout cas pas en suivant le modèle anglo-saxon.
      Alberto, tu as tort, pour beaucoup d’entreprises, notamment pour leurs dirigeants, le design n’est qu’une affaire de style, plutôt sur le modèle latin. Les entreprises qui ont compris qu’un autre modèle existe ne sont plus à convaincre des bienfaits du design (intégré).
      Quant à ta remarque sur les « designers latins français assistés », elle n’est évidemment pas fondée, comme souvent. C’est là, la différence entre opinion et connaissance.

    6. Alberto dit:

      waldezign;

      oui, pour trop d’entreprises, le design n’est que du style. Mais les responsabilités du designer peuvent évoluer vers autre chose de plus complet. Si il en a les moyens et fait ses preuves. Si il se complait dans le plaisir du style, c’est quand même son problème.
      C’est pas avec l’image que donne le « design latin en France » que ses chances sont optimisées.

      Concernant la demande d’assitance. Pas fondée tu écris.
      Et tous ceux qui demandent à l’Etat de faire plus pour eux?
      Et tous ceux qui pensent que c’est par l’inscription dans un syndicat qu’ils trouveront du travail.
      Et tous ceux qui se sont inscrits à la maison des artistes?
      Et tous ceux qui entrent dans l’administration et le professorat?
      Et tous ces gamins qui demande plus, qui jugent tout, sans vouloir faire leurs preuves……
      Et qui n’ont ni book ou site internet opérationnel. Et qui ne veulent pas ou ne savent pas se vendre. Comment pourraient-ils vendre leurs produits si ils ne veulent pas se vendre. Qu’ils ne savent que demander assistance!

      Oui, ce n’est qu’une opinion. Mais sans aucun fondement? Il faudrait que tu ais plus d’infos pour avoir cette certitude, cette affirmation.

      PS: pratiquement tous les articles se terminent par : « Mais que fait l’Etat » ‘Il devrait faire plus » Alors!

    7. Estelle dit:

      @Walzdesign, merci de me suivre sur l’opinion et la connaissance…

      @Alberto, je crois que la discussion dérive. En aucun cas je ne conclus que les pistes pour valoriser (et non pas assister) le design en France ne doivent venir que de l’Etat. Si tu as des coups de gueule à faire passer, fais-le dans un article ou autre qui te soit propre. Quand tu commentes celui d’un autre, cela ne fait pas avancer le débat.

    8. La place du design dans trois pays européens UK, France, Italie : une explication de la compétitivité internationale ? | Le Troisième Oeuvre dit:

      [...] Accédez à l’article ici [...]

    9. Alberto dit:

      « Quand tu commentes celui d’un autre, cela ne fait pas avancer le débat »
      Géniale!
      Un forum de design est l’accumulation de monologues. Ou d’expressions consensuelles.
      Et c’est de là que vient la Connaissance! Vive le process latin.

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