• Interview: Pierre Vincent

    Nous interviewons aujourd’hui Pierre Vincent, designer passé quelques années chez Capital Innovation qui vient de lancer sa propre structure, et dont nous avions présenté il y a quelques semaine une excellente petite vidéo, intitulée “Vouz avez dit design?”.

    Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours professionnel?
    Ça m’a démangé très tôt… Tout a commencé avec une curieuse envie, de comprendre, d’imiter, de dessiner, de fabriquer… On regarde les meubles, les voitures, les maisons, les arbres, et on comprend que derrière chaque chose il y a… autre chose ou quelqu’un, un grand mystère, comme un mouvement perpétuel: la création.
    Toujours est-il que, quand ça vous tient, ça ne vous lâche plus… Créateur, nous le sommes tous un peu, seulement, certains décident, dans leur douce folie, d’en faire un métier… J’y ai cru et j’y crois encore.
    Alors j’ai joué le jeu et j’ai mis le cap vers un bac F12. C’est une grande chance durant les « années lycée », alors qu’on est plein d’appétit, de toucher à autant de domaines: les arts plastiques et appliqués, l’architecture intérieure, la communication visuelle, le design…
    Ça aide à se construire son rêve, c’est moteur pour la suite.
    Puis, j’ai choisi le design… aussi parce qu’Olivier de Serres m’a choisi. Autant le BTS reste un peu scolaire (bien que ce soit là qu’on apprenne les bases, notamment en termes de matériaux), un peu trop cadré, centré « style » je dirais, autant les 2 années du DSAA sont palpitantes: c’est surtout lié au fait qu’on y côtoie les étudiants en architecture intérieure et communication, on s’ouvre vers l’extérieur.
    Mon diplôme portait sur du mobilier, mais la réalité du métier m’a amené à travailler plutôt sur des produits. J’ai travaillé en agence, chez Capital Innovation, sur la conception de produits innovants, un contexte qui pousse à plonger dans des domaines variés.
    Les clients étaient « de taille »: groupes SEB, Décathlon, Sita/Suez, etc. C’était en tous cas un travail de designer réellement industriel: des produits grand public, de grande consommation et fabriqués en grande série. Ce n’est pas toujours du grand design comme on en voit dans les magazines mais c’est la vraie vie des objets. C’est un exercice intéressant, une bonne école de discipline mais aussi d’écoute. Ce sont aussi des échelles d’entreprises dans lesquelles les décisions sont nécessairement complexes et offertes aux influences de services et de sensibilités multiples, pas toujours compatibles.
    Le designer y a une position singulière, d’autant plus quand il est consultant extérieur et qu’il ne subit pas directement le poids de la hiérarchie et des enjeux internes: il catalyse les intentions aussi bien du marketing que de la R&D ou de la direction.
    Les dessins et les maquettes sont un bon support de « médiation », ils servent la vision globale et matérialisent un but: le produit fini, comme un cap vers lequel l’équipe projet converge.

    Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous en ce moment?
    Ayant créé mon propre atelier il y a quelques mois, je suis dans une dynamique d’expérimentation.
    Je distingue aujourd’hui deux pratiques: le design industriel d’une part et le design de proximité d’autre part. C’est à dire que je continue à intervenir sur des produits de séries, en ce moment sur un appareil médical, avec une démarche centrée utilisateur et du mobilier.
    Je me plais aussi à explorer des champs nouveaux comme la conception d’exposition et d’outils pédagogiques. Je mets mes outils de designer et ma façon de concevoir les choses au service de domaines « hors-série » ou des clients hors industrie. C’est aussi un exercice enrichissant et le lien y est plus direct entre la conception et la réalisation. J’aime cette immédiateté, cette simplicité… ça change des projets de recherche sur lesquels on travaille pendant parfois 3 ans avant d’aboutir.

    Combien de personnes compte votre agence?
    Je travaille seul mais en réseau. Je collabore selon les besoins et projets: aussi bien avec un médiateur culturel (par exemple un spécialiste de l’éducation à l’environnement comme actuellement), qu’avec un menuisier pour la création de mobilier ou le design d’espace, ou des sociologues et ergonomes pour les phases d’analyse d’usage ou encore avec des co-traitants dans l’usinage à commande numérique ou l’impression 3D pour le prototypage.

    Quelle est votre méthode de travail habituelle?
    Une bonne dose d’observation et d’écoute des utilisateurs, plusieurs centaines de grammes de dessins, quelques kilos de prototypes… agiter… servir chaud.

    Fréquentez-vous les blogs et sites Internet consacrés au design, et si oui lesquels?
    Oui, j’essaie de prendre le temps de le faire, c’est toujours stimulant. Je parcours quelques sites de design comme core77.com ou trendsnow.net pour rêver… mais j’aime autant me frotter à des sites moins « formels » comme moreinspiration.com dans lequel on trouve des prototypes incroyables et des invention délirantes avec un classement intéressant suivant les principes TRIZ, ou influencia.net pour mettre un doigt de pied dans le bain marketing. Et évidemment blog.capital-innovation.fr avec de vrais morceaux d’innovation à l’intérieur!

    Y a-t-il un ou plusieurs designers, ou créateurs, qui vous inspirent au quotidien?
    C’est plutôt varié… J’aime l’esthétique scandinave et naturelle de Hans Wegner. Je me sens très proche de la démarche de Peter Opsvik. J’ai une certaine admiration pour l’attitude indisciplinée Rond Arad mais aussi une attirance pour la radicalité Dieter Rams (ce qui n’est pas très original à l’heure actuelle, je vous l’accorde).

    S’il y avait une chose à changer dans le design?
    Je dirais: la perception du métier. Entre le grand public qui perçoit le designer comme un décorateur et certains ingénieurs auprès desquels il faut lutter sans cesse contre une présomption d’incompétence ou d’irrationalité. C’est cette distance qu’il faudrait réduire avec le designer soit disant « sur son nuage ». C’est pour ça que je parle de design de proximité, pour inviter le design à se rapprocher de la réalité, de besoins plus simples.

    Quelle est la commande que vous aimeriez vous voir confier?
    Je suis déjà très content de travailler sur mes projets actuels… mais j’ai toujours dans la tête cette envie d’intervenir « hors les murs », sur un projet de mobilier urbain pour un lieu spécifique par exemple… Parce qu’il y aurait de la prise en compte d’utilisateurs multiples, d’un contexte singulier, de petite série et donc un travail de proximité avec le fabricant, de durabilité. Et ça change des objets « à soi », pour chez soi… J’aime l’idée de l’objet qui n’appartient à personne et qui est déterminé par l’usage que l’on en fait. C’est le cas d’un espace urbain.

    De votre point de vue, le métier de designer est-il enviable aujourd’hui?
    Bien sur, même s’il y a des amalgames autour de notre métier et des défauts de compréhension, nous avons un métier de privilégié, super valorisé.
    La plupart des designers font ce métier parce qu’ils l’ont choisi, et ça déjà, c’est énorme. Oui, nous avons une place enviable: nous vivons dans une société très matérialiste et le designer a cette chance de savoir donner forme à la matière!
    Bien sur, l’humain n’a pas nécessairement besoin de tous les objets qui l’entourent… je suis convaincu que le seul besoin qui tienne est émotionnel mais voilà, à force de publicité et de crise économique (on désire ce qui nous manque) on finit par confondre matière et émotion… consommation et consolation. Nous vivons dans une société de « consolation » et le designer participe à fabriquer ces objets de désirs et de réconfort à la fois. C’est un rôle étrange et ambigu mais chacun doit trouver sa propre attitude par rapport à cette question…

    Pour finir, un livre, un site Internet, un film, une découverte récente… que vous auriez envie de partager avec nous?
    Et bien, j’aime fouiner dans le domaine des FabLab pour me tenir au courant de ce qui se fait. J’utilise, comme beaucoup de designers, l’impression 3D et les techniques de prototypage rapide depuis des années pour faire réaliser des éléments de prototypes mais les FabLab, ça va plus loin. Je crois qu’on ne peut plus faire de design sans prendre en compte ces nouveaux espaces et nouvelles technologies de création. L’un des sites les plus accessibles que j’ai pu découvrir dans ce domaine est celui de l’ENSCI: ensci.com/blog/fablab. On y trouve des projets prospectifs et bien communiqués.

    Quelques projets de Pierre Vincent:


    Cyclabelle: réducteur domestique de déchets d’emballages pour Sita/Suez, réalisé dans le cadre de l’agence Capital Innovation.


    Fer à repasser sans fil Freemove de Calor, Ergonomie et architecture produit, chez Capital Innovation.


    Assise surprise… en cours de développement.


    Lecteur de tags (mini code-barres) pour Actipaper, réalisé dans le cadre de l’agence Capital Innovation.

    Etapes de conception du lecteur de tags pour Actipaper.


    Versatile: exercice autour du process de fabrication à commande numérique. Workshop avec Antony MASSON : prototype de chaise personnalisable


    Versatile: les pièces à plat.


    Etapes de conception de la chaise Versatile.

    Pour en savoir plus: www.ateliercrayon.com.


    Laisser un commentaire