• La valorisation des marques et signes de l’usage dans le design d’ameublement – Faire du neuf avec du vieux

    Un article de Salma Zouaghi[1]

    L’étude suivante émerge d’un projet de recherche, conduit en 2011[2], qui étudie le phénomène de la lassitude et le désir de changement du mobilier dans l’espace domestique. A travers ce projet, nous avons découvert que les usagers de mobiliers domestiques réagissent de manières différentes au désir d’innovation. Les résultats de l’enquête que nous avons menée auprès de 126 Français, habitants de la région parisienne, ont montré que la réaction au phénomène de la lassitude et au désir de changement du mobilier domestique peut prendre plusieurs formes. Cette réaction ne se manifeste pas seulement à travers l’achat qui signifie des dépenses d’argent. En effet, certaines personnes de notre échantillon font appel à des pratiques différentes en réponse à ce phénomène, à savoir:

    - Le réaménagement des intérieurs à travers le changement de l’emplacement des meubles pour donner une illusion de changement.

    - Ou encore, le bricolage et la personnalisation des mobiliers domestiques qui consistent en la transformation des meubles en leur donnant un nouvel aspect.

    Ces résultats sont à l’origine d’une forte curiosité et d’un profond désir d’approfondir nos recherches sur les opérations de réhabilitation et de « bricolage » effectuées par les usagers sur les mobiliers du quotidien, ainsi que leurs conséquences sur « le design originel » conçu par le designer.

    Introduction

    L’aménagement intérieur évolue en fonction des besoins et désirs des habitants. Ceux-ci sont physiques comme le besoin d’acheter un lit pour enfant afin de remplacer un berceau, ou psychologiques comme le désir de changement provoqué par le sentiment de lassitude.

    Les motivations de transformation des intérieurs sont aussi influencées par les médias (campagne publicitaire), le marketing (crédit, soldes) et des leaders d’opinion sur la désirabilité sociale et l’image de soi.

    La mutation de l’ameublement enchaine des cycles de changements qui dépendent en partie de la durée de vie d’un mobilier qui prend une forme cyclique (acquisition[3]/usage/usure/rejet/nouvelle acquisition), mais aussi, en partie, de motivations esthétiques (par exemple : changement du revêtement d’un fauteuil, réparation d’une chaise, peinture, etc.). Nous nous sommes particulièrement intéressés au second cas, dans lequel l’usager transforme, en le personnalisant, ce qui a été conçu par les designers.

    Comme c’est souvent le cas en phase de crise, on assiste au retour de la personnalisation du mobilier domestique grâce au bricolage qui stimule la créativité de l’usager. Ce mode d’appropriation du mobilier interroge la question du « neuf pur » et du sort du « design originel, vierge ». Le designer, doit-il étudier le phénomène de la personnalisation des mobiliers domestiques pour mieux servir la création dans le design ?

    Présentation du domaine de recherche

    Le domaine de recherche de cette présente étude est défini par l’activité du bricolage et plus précisément, le bricolage du mobilier domestique. Cette activité parait complexe et difficile à définir puisqu’elle fait appel à différents métiers artisanaux. Il nous semble qu’un usager, bricoleur de mobilier domestique, doit être en même temps ébéniste, peintre, décorateur, couturier et même inventeur et créateur. L’habilité, la polyvalence et la maîtrise de certaines connaissances s’avèrent indispensables dans cette pratique. Nous rejoignons Claude Bonnette-Lucat[4], qui, dans son article « Les bricoleurs : entre polyvalence et spécialisation » publié en 1991, pose la question du « vrai bricoleur » et trouve que cette question ouvre « un sujet de réflexion ou de débat ». Selon lui, le bricolage rassemble les définitions suivantes : « C’est une activité d’amateur, en principe non rétribuée et le plus souvent non spécialisée ; c’est une activité manuelle, qui opère sur la matière : la liste des activités techniques recoupe plus ou moins une série de métiers artisanaux ; c’est une activité à dominante masculine, l’arbitraire social excluant les activités de production traditionnellement féminines ; elle occupe une place ambiguë, entre le travail et le loisir, entre utilité et gratuité »[5]. Ajoutons à ces critères que le bricolage est une activité généralement exercée chez soi indépendamment du travail professionnel.

    Dans notre étude, cette activité n’a pas seulement un but d’entretien, de réparation ou de création. Elle a aussi un but d’innovation, de changement et d’actualisation du mobilier en question pour faire face au sentiment de routine et de lassitude d’usage ou encore, pour avoir un mobilier conforme avec la tendance dans le secteur de l’ameublement. Il y a différents facteurs qui stimulent le désir de posséder un mobilier « tendance ». Parmi lesquels on trouve le pouvoir de la société de consommation ou encore l’influence des médias et des proches (famille, amis, collègues de travail, etc.). Ajoutons à ce qui précède l’importance de l’image de soi. Celle-ci a été citée par Benoit Duguay, professeur à l’Université de Québec à Montréal, dans son livre « Consommation et image de soi. Dis-moi ce que tu achètes… », publié en 2005. L’auteur considère que la consommation est le reflet de l’image qu’on donne à autrui. D’après lui : «Consommer est une habitude dont on peut difficilement se défaire parce qu’elle est étroitement liée à l’image qu’on a de soi. Pour certains, elle devient même compensatoire, une façon de rehausser l’estime de soi, de projeter une image plus favorable »[6]. Le mobilier domestique fait partie des produits qui projettent l’image et le rang social auquel on appartient. Il est lui aussi assujetti au changement et au cycle de la mode. Gilles Lipovetsky[7] l’a énoncé brièvement dans son livre « Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation », paru en 2006. L’auteur parle brièvement du nouveau comportement d’achat du mobilier qui tend vers le changement : « Jusqu’aux années 1980, les ménages achetaient des meubles destinés à être gardés toute une vie. Renversement de tendance : aujourd’hui, les meubles contemporains volent la vedette au mobilier de style ou rustique, en réponse aux goûts pour le renouveau et le plaisir de changer de décor »[8].

    Cependant, la consommation de mobilier domestique pour suivre la tendance, pour le plaisir, pour rajeunir ou pour contrecarrer un sentiment de routine et d’ennui, peut être une mission coûteuse. C’est pour cela que certaines personnes font appel à leurs propres compétences pour créer du changement dans leur espace domestique, à savoir, le réaménagement des mobiliers pour donner une impression d’innovation ou encore le bricolage et la personnalisation des mobiliers passés de mode. Ceci dit, le bricolage des mobiliers domestiques n’est pas seulement un moyen qui permet de diminuer les dépenses ou d’imiter les mobiliers tendances, il est aussi une activité exercée par des amateurs et un passe-temps pour certains.

    Programme de recherche

    Dans la présente étude, nous avons tenté d’étudier la position d’un designer par rapport au phénomène de personnalisation des mobiliers domestiques. Nous avons aussi tenté d’étudier l’évolution des marques d’usage et de bricolage après l’intervention concrète d’un professionnel. A cette fin, nous avons traité du travail de Jeremy Edwards[9], designer anglais, qui, dans son projet « Meubles Libres », designe ses meubles à partir de mobiliers récupérés dans les rues de Paris. Ce designer bouleverse la hiérarchie de la production classique en fondant son approche, d’une part, sur des matériaux récupérés et usagés, et d’autre part, en redonnant du sens et une deuxième vie à ce qui a déjà vécu et qui porte les traces et les signes d’usages et d’usures.

    Notre travail est complété par une étude des croyances, des représentations et des intentions de quelques étudiants en design produit de l’Ecole Boulle à Paris sur la question du bricolage des mobiliers domestiques d’une manière générale et sur le projet « Meubles Libres » de Jeremy Edwards.

    Pour répondre à nos interrogations, nous avons poursuivi une démarche pragmatique qui met en œuvre deux entretiens compréhensifs : un premier entretien avec le spécialiste Jeremy Edwards, effectué le 24 février 2012 et un deuxième entretien lors d’un focus group, constitué de cinq étudiants de l’école Boulle, effectué le 13 avril 2012. Les deux entretiens tournent principalement autour du projet « Meubles libres ».

    Les données textuelles collectées ont été traitées suivant une méthode de distinction thématique dans laquelle nous avons relevé les sémioses[10] abordées par le designer Jeremy Edwards ainsi que par les étudiants lors des discussions.

    Présentation du projet « Meubles libres » de Jeremy Edwards

    Voici quelques photos du projet « Meubles libres » qui montrent le mobilier avant et après l’intervention de Jeremy Edwards.

    Dans ce projet, ce designer voulait prolonger la durée de vie d’un mobilier. Dans sa vision, les objets et les matériaux ont un cycle de vie. Et au lieu qu’ils soient jetés, il souhaitait prolonger leur cycle et leur donner une seconde vie. Mais aussi, ce designer voulait que des gens ordinaires participent à ce cycle en se servant gratuitement dans la rue et en le modifiant à leur tour s’ils le souhaitent.

    D’après lui : « Les gens peuvent prendre ces objets chez eux et peuvent continuer à le changer. Autrement dit, ils peuvent donner un autre cycle de vie à ces objets à travers leurs propres modifications.  Ils peuvent aussi garder un objet pendant un an et le transmettre à un autre ami qui mettra un peu de couleur dessus. Ainsi, un autre cycle de vie se crée.  Pour moi, cette démarche est très importante. Ce n’est pas statique, ce n’est pas figé. C’est quelque chose qui continue à vivre… Les meubles de cette exposition vont être remis dans les endroits où je les ai fabriqués et les gens peuvent se servir et en faire ce qu’ils veulent gratuitement. Et le meuble continue à vivre dans un autre foyer et ainsi de suite ».

    Questions, analyses et résultats

    Comment les participants[11] perçoivent-ils le phénomène de personnalisation des mobiliers domestiques ?

    Jeremy Edwards pense que les gens personnalisent et bricolent les objets pour trouver des solutions aux problèmes de la vie quotidienne. Par exemple, transformer un seau en une chaise pour s’assoir. C’est ce qu’on appelle le détournement de l’objet.

    D’après les étudiants en design produit, le phénomène de personnalisation reflète un besoin d’appropriation sous prétexte que les objets industriels sont dépourvus d’« âme ». D’une manière générale, ils confirment que la conversion des objets aux goûts personnels de l’usager est devenue une pratique de plus en plus répandue. Ces étudiants ajoutent que ce phénomène vient peut-être de la standardisation esthétique des produits qu’on commercialise et qui ne sont pas forcément au goût de tout le monde. D’après eux, l’usager se sentirai peut être perdu face à l’absence d’une identité et d’une singularité. Parmi les raisons qui poussent les usagers à personnaliser les objets qu’ils possèdent, ces participants évoquent la cause écologique. En effet, il semble que certaines personnes hésitent à jeter un objet devenu indésirable et tentent de lui donner un nouveau cycle de vie à travers le bricolage.

    De nos jours, le rejet d’un objet est un sentiment de plus en plus fréquent dans l’univers de l’espace domestique. Cet univers est lui aussi touché par l’obsolescence esthétique et les objets éphémères et « calculés pour être éphémères ». Le phénomène de personnalisation répondrait, selon les étudiants, à un désir de freiner « la mort anticipée » des objets et de servir ainsi la cause écologique. D’un autre côté, certains usagers, « vulnérables et influençables », ne peuvent échapper au phénomène de lassitude et au désir de changement d’un mobilier « passé de mode» qui ne correspond plus à l’image du design « contemporain».

    D’après un des étudiants : « Actuellement, c’est l’image et la visibilité de l’objet qui importent. Ainsi, on incite toujours plus et on dit : ah, et bien j’ai le dernier truc». Un autre participant rajoute : « Comme fait IKEA chaque année, il y a une nouvelle collection, il y a un renouveau visuel… Et on se dit : « c’est vrai que ma chaise est vieille et j’ai besoin de lui remettre quelque chose ». En même temps, la personnalisation d’une chaise par exemple n’est pas une solution définitive qui mettrait un terme au désir de changer cette même chaise et qui offrirait en même temps, une esthétique durable et conforme au goût personnel. L’apparition d’une nouvelle tendance pourrait éventuellement déclencher à nouveau le désir de bricoler cette chaise et de « la remettre à jour ».

    Les étudiants soutiennent l’idée que nous vivons dans une société où on voit des choses tellement variées et compliquées qu’on a besoin d’avoir des objets épurés. Ce qui minimiserait peut être les risques de lassitude et d’ennui. En même temps, l’usager a parfois envie de cette fioriture. Paradoxalement, d’après eux, quand on va acheter un objet où il y de la fioriture, on va s’en lasser très vite. Autrement dit, « quand on colle un ornement, on colle une date de péremption ».

    La progression de la recherche nous pousse à nous interroger sur le design d’origine produit par le concepteur.

    Certains participants ont d’abord soutenu l’idée que le phénomène de personnalisation témoigne de la défaillance du design d’origine qui a été produit par le professionnel. D’après eux, le designer devrait produire un objet durable au niveau de la matière mise en forme et aussi au niveau de l’esthétique. Après réflexion, ces mêmes participants se sont rendu compte que finalement ce n’est pas le design d’origine qui est défaillant. Les phénomènes de personnalisation et de bricolage viennent justement ajuster les objets aux nouveaux besoins et goûts qui changent et qui évoluent avec l’être humain.

    • Ces futurs designers soutiennent le phénomène de personnalisation des mobiliers domestiques. Ils pensent que même si l’usager ne change pas l’aspect esthétique de son mobilier, celui-ci va se transformer par effet d’usure et d’usage.
    • Ajoutons à ce qui précède la déclaration de Jeremy Edwards qui soutient lui aussi le phénomène de personnalisation des mobiliers domestiques. Il affirme : « Je suis pour la personnalisation des mobiliers du quotidien. Je suis totalement pour la continuation de quelque chose.  La continuation par rapport aux besoins et aux goûts de l’usager».

    La personnalisation des objets est étroitement liée à la notion de créativité. En abordant cette notion avec Jeremy Edwards, celui-ci déclare : « La créativité ne se limite pas à une classe sociale parce que je pense que tout le monde est créatif ». Il ajoute : « Je pense qu’il y a des choses à apprendre des usagers. C’est pour ça que j’ai écrit le premier livre « Objets anonymes ». Parce que je croyais que nous, les créateurs spécialistes, pouvons apprendre des choses des gens qui n’ont pas une formation dans la création ».  En effet, son premier livre « Objets Anonymes » émerge de l’intérêt que ce designer porte aux personnes qui mettent leur créativité à l’épreuve en cherchant des solutions aux problèmes de la vie quotidienne à travers le détournement des objets.

    Les étudiants partagent l’avis de Jeremy Edwards et pensent que la « créativité » est accessible à tous et existe chez tout le monde. Sauf que selon eux, il y a une différence entre la créativité d’un usager et la créativité d’un designer. Ils pensent que la créativité de l’usager est brute et n’est pas éduquée au même rang que celle d’un professionnel. A la différence de l’usager, le designer suit des années d’études, développe une culture artistique et une culture de création. Il a été éduqué et entrainé à réfléchir à différentes données sémantiques, fonctionnelles, etc. Ceci dit, tous les participants pensent que les designers devraient observer de plus près la créativité des usagers. En effet, cette créativité brute et spontanée pourrait servir l’innovation dans le design.

    Dans le projet « Meubles libres », comment Jeremy Edwards traite-t-il les marques de personnalisation et d’usage du mobilier récupéré ou à réparer ?

    Concernant les marques d’usage et d’usure, il déclare : « l’usure d’une partie du bois d’une chaise ne me dérange pas. Il n’y a pas de problème s’il y a une tâche. Je trouve qu’elle fait partie de l’esthétique… Le fait de voir des traces de crayon par exemple est secondaire pour moi ».

    Dans le traitement des marques d’usages, Jeremy Edwards ne tente pas forcément de mettre en valeur les traces laissées par les anciens propriétaires des mobiliers. Cependant, il ne les cache pas. Dans sa démarche conceptuelle, ces marques évoluent spontanément avec le produit.

    D’après les étudiants, la récupération des objets usés est une mission valorisante. En effet, ils trouvent des qualités esthétiques aux surfaces irrégulières. De plus, ils pensent qu’il est plus simple de récupérer de vieux objets que de faire du « faux vieux ». Finalement, la valorisation des marques et signes de l’usage est bien présente dans les intentions de ces jeunes designers.  Ceci est à vérifier à travers une mobilisation concrète.

    Que pensent les étudiants du projet « Meubles libres » ?

    Concernant le projet « Meubles libres », les étudiants trouvent que l’idée de transformer des débris de mobiliers qu’on jette dans les rues en mobiliers réutilisables, est séduisante. D’après eux, la démarche de Jeremy Edwards vise manifestement la valorisation des mobiliers usés.

    Au niveau de la fonctionnalité, ils pensent que les mobiliers de ce projet paraissent pratiques et ergonomiques. Deux étudiants ont testé une chaise de la création « Meubles libres » que nous avons nous mêmes empruntée à Jeremy Edwards. A la fin du test, ils ont déclaré qu’elle était confortable.

    Au niveau de l’esthétique, les avis sont partagés : Quelques participants trouvent que les mobiliers ne sont pas assez travaillés. D’autres trouvent que la séduction de ces mobiliers dépend du rang social de la personne. Ces derniers pensent que ces mobiliers attireront probablement plus les étudiants que les personnes qui ont l’habitude d’avoir des objets extrêmement travaillés chez eux.

    D’un autre côté, d’après Jeremy Edwards, certaines personnes, séduites par sa création, lui ont fait des propositions d’achat. Il est assez évident que l’idée de la séduction reste subjective et personnelle et dépend de la situation sociale, financière et culturelle de l’éventuel usager.

    Certains étudiants n’envisagent pas de récupérer un des mobiliers du projet « Meubles libres » chez eux sous prétexte qu’ils habitent dans des appartements petits et déjà meublés et qu’ils ne trouveront pas de place pour ces mobiliers assez volumineux. De plus, d’après une participante, on arrive facilement à jeter : passer de la maison à la rue, mais pas l’inverse.

    D’autres participants déclarent qu’ils seront, au contraire, « ravis » de récupérer une de ces créations s’ils en ont besoin.

    Finalement, récupérer gratuitement un de ces mobiliers de la rue ne dépend pas de l’état des matériaux usés et usagés.  La décision dépend d’autres facteurs :

    - Facteur esthétique qui demeure primordial dans les opérations de séduction, d’appropriation du mobilier et de durabilité de son usage.

    - Facteur socioculturel quand il s’agit de l’image de soi et de la récupération d’un mobilier de la rue.

    - Facteur spatial relatif à la petite superficie des habitats quand s’il s’agit d’étudiants.

    Conclusion

    L’exemple du projet « Meubles libres » témoigne d’une nouvelle démarche de création qui valorise les marques et les signes d’usage et de personnalisation des mobiliers domestiques. Cette création alternative est intégrée au courant de l’écoconception et se développe dans le respect de l’éthique de l’environnement.

    Tous les participants valorisent les interventions des usagers sur les objets. Ils pensent que le designer devrait observer de plus près ce phénomène de personnalisation des mobiliers domestiques, rappelant que la pratique du design est fondamentalement liée à l’usager et au contexte dans lequel l’objet va émerger (contexte culturel, politique, etc.).

    La recherche que nous avons menée nous conduit à conclure que les phénomènes de personnalisation et de bricolage des mobiliers domestiques ne dévalorisent pas le design d’origine, produit par le concepteur. Ces phénomènes viennent ajuster les objets, esthétiquement et/ou fonctionnellement, aux nouveaux besoins et aux goûts qui changent et qui évoluent avec l’être humain. De plus, le designer devrait observer et étudier ces phénomènes qui peuvent être déterminants dans l’innovation dans le design d’ameublement. A ce propos, nous rejoignons Madeleine Akrich[12] qui montre dans son article « Les utilisateurs, acteurs de l’innovation », publié en 1998, le rôle important que jouent les utilisateurs dans le processus d’innovation à travers les usages différents de l’objet : « le déplacement, l’adaptation, l’extension, le détournement »[13].

    Enfin, nous concluons de cette présente étude que le concept du neuf dans le design ne se limite pas à l’utilisation de matériaux neufs. On peut faire du neuf avec du vieux, avec des matériaux déjà utilisés et personnalisés. L’idée du neuf réside donc dans l’acte d’innovation ou de changement qui se concrétise à travers une nouvelle conception qu’elle soit conduite par le designer ou par l’usager.

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    Notes


    [1] Salma Zouaghi est doctorante contractuelle sous la direction de Bernard Darras. Elle est membre de l’Institut ACTE (UMR 8218) Equipe de Sémiotique des Arts et du Design.
    [2] Zouaghi, S. (2011). Mobilier domestique, aménagement intérieur et société de consommation. Etude comparative des phénomènes de lassitude, de désir de changement et de leurs conséquences sur l’environnement. Mémoire de Master de recherche en Etudes Culturelles disponible à la bibliothèque de l’UFR Arts Plastiques et Sciences de l’Art de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
    [3] Acquisition: par l’achat, l’héritage, la récupération, la location, etc.
    [4] Claude Bonnette-Lucat: Maître de conférences à l’Université Lille 1.
    [5] Bonnette-Lucat, C. (1991). Les bricoleurs: entre polyvalence et spécialisation. Sociétés contemporaines 8. Production domestique. 61-85. Récupéré du site de la revue: http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/socco_1150-
    [6] Duguay, B. (2005). Consommation et image de soi. Dis-moi ce que tu achètes. Paris, France: Liber. Récupéré du site: http://www.cifort.uqam.ca/duguay/html/consommation_image.htm
    [7] Gilles Lipovetsky: Philosophe et sociologue français.
    [8] Lipovetsky, G. (2006). Dionysos: société hédoniste, société anti-dionysiaque. Dans Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, (p.253). Paris, France: Gallimard.
    [9] Jeremy Edwards est un designer d’origine anglaise. Il a conduit des projets dans différents pays. Il vit actuellement à Paris où il travaille comme designer indépendant. Il est aussi enseignant à l’Ecole Camondo à Paris et à l’ENSA à Limoges.
    [10] Sémioses: discours.
    [11] Les participants: Jeremy Edwards dans le premier entretient et les cinq étudiants dans le deuxième entretien.
    [12] Madeleine Akrich: Sociologue et ingénieure française.
    [13]Akrich, M. (1998). Les utilisateurs acteurs de l’innovation. Education permanente, 134, 79-89.


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