• Un long chemin vers l’unité des fablabs français

    Partage de contacts à la Quincaillerie numérique de Guéret. © Yann Aulmier

    - Par Yann Paulmier – chef de projet incubation à La Machinerie à Amiens, fablab membre du RFFLabs.

    Le week-end du 22 octobre 2016, le conseil d’administration du Réseau français des fablabs (RFFLabs) nouvellement élu en mai dernier, s’est réuni à La Quincaillerie numérique de Guéret. Pour un week-end, la Creuse a été le centre des échanges et débats qui animent la grande communauté des makers français, plus habitués à se retrouver sous le soleil toulousain que dans les brumes creusoises.

    L’un des enjeux était de positionner le réseau face à la nouvelle qui a occupé une grande partie de l’espace médiatique des fablabs cet été : l’annonce de l’organisation en France de FAB14, la conférence mondiale des labs en 2018. Si la plupart des événements auront lieu à Toulouse et Paris (cette dernière en profite pour rejoindre le réseau mondial Fabcity), c’est pour la première fois un pays (la France) et non une ville qui a été choisie à Shenzhen pour accueillir le sommet. Cette décision nous offre l’opportunité de faire rayonner l’ensemble des fablabs du territoire. Mais pour rendre cela possible, nous avons besoin d’un écosystème mature, d’un réseau uni et de coopérations concrètes entre ses membres.

    Toulouse, capitale des fablabs le temps d’un week-end Si la France est, au niveau international, l’un des pays les plus dynamiques sur la thématique des fablabs, de nombreuses incompréhensions demeurent autour de cette notion. Des ressources (comme le rapport sur la fabrication numérique établi en 2014) sont disponibles pour éclairer ce débat, qui a animé les réflexions préalables à la création du réseau.

    L’une des formules qui me semble le mieux résumer la spécificité de ce type d’atelier de fabrication numérique a été utilisée au Fabfestival 2016 : « Un fablab est un espace oeuvrant à la démocratisation des outils de fabrication numérique. » Cette notion de « démocratisation » semble à la fois suffisamment large pour laisser coexister de nombreuses formes d’initiatives et d’actions mais également assez précise pour garantir une homogénéité en termes de finalités.

    Démocratiser sans rivaliser

    Démocratiser, c’est rendre accessible au peuple (dêmos en grec), donc à tous, sans distinction d’âge, de sexe, de niveau d’études ou de statut professionnel. A partir de là, il est assez simple d’identifier plusieurs types d’espaces (ou de labs) orientés vers différents publics, et dont les fablabs ne sont qu’un exemple (ceux qui travaillent à être accessibles à tous). Être ainsi capable de reconnaître et d’accepter une pluralité de modèles et de modes de fonctionnement, d’accepter que coexistent labs d’entreprises, makerspace, fablabs, espaces publics numériques (EPN) et tiers-lieux de toutes natures, et cela sans notion de hiérarchie ou de rivalité entres structures ; cela serait un premier signe de maturité que nous pourrions faire tous ensemble.

    Dans un écosystème où l’on accepte la « biodiversité » des modèles et où les différences ne sont pas sources de conflits mais permettent au contraire un enrichissement mutuel, le rôle des organisations collectives (réseaux, fédérations, syndicats…) n’est pas de figer des postures, de cristalliser des conflits. Au contraire, dans ce modèle où les acteurs choisissent de se réunir sur une base volontaire, ces structures doivent plutôt donner des repères, être des lieux d’entraide, de capitalisation de ressources, au service de leurs membres présents et potentiels.

    En d’autres termes, personne n’imagine aujourd’hui fédérer les fablabs (ni les tiers-lieux) par la contrainte (je l’espère), ni par la force de la loi (le modèle consulaire n’étant plus très à la mode comme l’a montré récemment l’épisode de la loi sur l’économie sociale et solidaire de 2014).

    Exemplarité

    Reste l’option de l’exemplarité, de la conviction par l’action. Dans cette hypothèse, la tâche d’un réseau est d’apporter un soutien actif et efficace à ses membres, de les guider, de les appuyer et de produire des ressources permettant aux membres l’ayant rejoint de réussir et de donner envie aux autres de le rejoindre.

    Cette option présente deux principaux avantages. D’une part, elle est tournée vers l’action et sa mise en œuvre repose d’abord sur la capacité de ses membres à agir ensemble (ce que nous faisons presque tous quotidiennement), plutôt qu’à penser ensemble (ce qui reste un défi majeur pour l’avenir). D’autre part, elle évacue la question de la légitimité initiale d’un tel réseau. Dans un monde où l’on est obligé d’adhérer à une fédération, une confédération, une chambre…, il est important de comprendre ce qui fonde cette obligation et ce monopole.

    Dans un monde dans lequel on accepte la liberté d’adhésion, le problème ne se pose plus en ces termes. C’est au réseau de faire la preuve de sa légitimité par sa capacité à aider, accompagner et soutenir ses membres. A ce titre, le Réseau français des fablabs pourrait être précurseur.

    Un réseau catalyseur

    Au lieu de s’institutionnaliser progressivement et de reproduire un schéma classique de transformation en une chambre de débats stériles entre des postures idéologiques, il pourrait incarner un modèle de réseau du XXIème siècle, à la fois catalyseur d’actions et de dynamiques, lieu de partage et de capitalisation des erreurs et des réussites, et structure horizontale, libérée des questions de hiérarchie, et où les commissions et les groupes de travail se forment autour d’objectifs opérationnels, de projets concrets.

    En poussant la logique un peu plus loin, on pourrait même concevoir que ce réseau accepte que coexistent en son sein différents niveaux de coopération entre les membres, en fonction de leur proximité, de leur engagement, des points d’accroche qu’ils se seraient trouvés. Nous serions ainsi capable de réaliser, à notre échelle, ce que l’Union européenne n’arrive pas à faire, et mettre en œuvre des niveaux d’intégration différents, qui ne se traduiraient pas par des niveaux hiérarchiques, ou d’importance différents.

    La déclinaison logique de cette démarche, depuis l’idée d’un écosystème ouvert, à celui d’un réseau favorisant les dynamiques communes, nous amène à imaginer des coopérations concrètes entre les tiers-lieux au sens large. Beaucoup a déjà été fait dans ces lieux, et beaucoup y est fait quotidiennement pour expérimenter de nouveaux modèles, faire évoluer les modes de faire, construire des alternatives. Pourtant, encore trop peu de résultats sont diffusés, encore trop d’erreurs sont répétées, encore trop de prototypes peinent à changer d’échelle.

    Certains pourraient croire que c’est une question de moyens. Au contraire, la force des projets issus de ces lieux tient en partie au fait qu’ils sont conçus avec peu de moyens, en essayant de contourner les difficultés techniques non par une débauche de dépenses de R&D, mais par des « astuces », de l’intelligence, de la sobriété ; pour faire court de « l’innovation frugale ».

    Il ne s’agit pas de dire que les labs peuvent fonctionner sans moyens. Mais avec un budget annuel de 150 000 à 200 000€, on peut déjà faire beaucoup. Non, le véritable effet levier qui permettra de faire de ces espaces de véritables catalyseurs d’innovations au service du plus grand nombre, sera leur capacité à mobiliser les énergies, fédérer les bonnes volontés, diffuser la conviction selon laquelle « on peut faire autrement ».

    Ce qui bloque aujourd’hui un grand nombre d’initiatives, ce sont les barrières psychologiques. Avant même d’avoir essayé, on est convaincu que ce n’est pas possible. Or, plus de 60% des créations d’entreprises en France se font avec moins de 10 000€. Or, le coût de développement d’un prototype dans un fablab n’excède pas quelques milliers d’euros. Cela peut sembler élevé pour un étudiant ou un porteur de projet isolé. Mais dès que l’on s’inscrit dans une logique collective, ces barrières financières disparaissent. C’est ce qu’a prouvé le crowdfunding dans de nombreux domaines.

    L’un des exemples les plus révélateurs est celui de l’industrie musicale. Il y a quelques années, un artiste n’avait aucun espoir de diffuser un album sans passer par le processus de sélection des majors. Aujourd’hui, une kyrielle de jeunes groupes produisent et commercialisent leur musique autour d’eux, en se finançant sur des plateformes spécialisées, leur permettant de collecter les quelques milliers d’euros nécessaires pour un enregistrement de qualité et le pressage d’une petite série de disques. Bien sûr, la plupart d’entre eux ne vivent pas de leur musique. Mais ils ont toutes les cartes en main pour essayer.

    Pourquoi ce qui a été possible pour l’industrie musicale ne le serait pas pour la création de projets, d’entreprises et d’activités ? La création artistique a réussi à s’affranchir d’un mode unique de financement par les majors. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le financement de l’innovation ?

    En résumé, la tâche qui est devant nous est immense, et les attentes très élevées. Le débat sur l’accueil de FAB14 en France n’est qu’une des facettes de la tension qui règne au sein de cet écosystème. Et la cause principale de cette tension est que nous faisons face à des défis extraordinaires, que nous suscitons un espoir grandiose, sans disposer aujourd’hui de la stratégie, des repères et des moyens nécessaires pour y faire face.

    La solution ne viendra pas d’ailleurs. Elle ne tombera pas du ciel. Elle sera le résultat de nos efforts concertés pour la construire. Et la première pierre de notre édifice pourrait être de mettre en accord nos valeurs et nos pratiques.

    Cet article a été publié une première fois sur le site Makery

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