• “L’objet en question(s)” : Cône, un sapin de Noël monumental du designer Arnaud Lapierre

    La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs : l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux… Aujourd’hui, nous avons le plaisir de rencontrer le designer Arnaud Lapierre, diplômé à l’ ENSCI/ Les Ateliers de Paris qui depuis multiplie les projets à succès. Nous avons d’ailleurs pu vous parler de son travail à de nombreuses reprises sur la revue du design (voir ici). Pour la ville de Saint-Pétersbourg, le designer français vient d’imaginer Cône, un sapin de Noël aux allures d’expérimentation graphique monumentale.  Interview :

    Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
    Il s’agit d’une installation immersive pour les fêtes de fin d’année. C’est une interprétation expérientielle du fameux sapin de Noël, pour la ville de Saint-Pétersbourg et le musée d’art Moderne.

    Comment ce projet vous a-t-il été confié?
    La I-Gallery Intelligence, dirigée par Olga Khlopova et sous la supervision artistique de Nina Ryzhkova, m’ont contacté en milieu d’année, juste après le confinement pour me demander si j’étais intéressé pour participer en tant que designer d’honneur à une exposition thématique « En face et derrière le miroir » au musée des arts modernes. Je devais y présenter mon travail plastique sur mes projets, recherches et dernières installations immersives. Dans la foulée, la directrice du Musée, Marina Jigarkhanyan a souhaité que je propose un sapin de Noël. J’avoue que dans un premier temps, je n’étais pas à l’aise avec l’idée d’un objet décoratif et emprunt d’une certaine théologie. Après un premier refus et divers échanges j’ai proposé de travailler sur des projets d’installations immersives évoquant l’arbre de Noël, trois projets furent présentés.

    Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
    L’objectif était de s’inscrire dans la magie de noël avec une installation dont l’impact positif et populaire serait autant palpable qu’avec un vrai arbre. L’enjeu était de moderniser la vision très traditionnelle voir attendue d’un arbre de noël et de réussir à capter l’attention par un système immersif pour transmettre une nouvelle manière de voir et d’expérimenter le roi des forêts. La situation sanitaire actuelle a rendu la mise en place du projet bien évidemment complexe, avec des échanges distanciels avec le musée et la galerie par écrans interposés, des rendez-vous de visites atelier et des maquettes expliquées par WhatsApp, des discussions techniques et d’effets qui ne s’ancraient dans aucune matérialité physique. Tout cela a créé une temporalité de développement projet aussi diluée dans le temps qu’urgent sur certains points. La contrainte météorologique parfois extrême de la ville devait également être prise en compte.

    Quel était votre concept ou votre idée de départ?
    La première démarche était d’identifier la problématique et la demande de ce projet qui était un peu particulier pour le studio, spécialisé en création immersive. Le concept a été dessiné dans la hâte car nous avions une problématique de temps et de décideur face à nous. L’idée n’a que très peu évolué dans sa matérialisation : il fallait à tout prix s’inscrire dans les codes et signifiants de l’arbre de noël; sa forme, couleur, son imaginaire projeté, son lieu commun, ses lumières… Puis très rapidement je voulais donner à voir uniquement l’archétype géométrique : un cône, doté d’un revêtement facetté innovant.

    Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
    Nous avons appliqué sur des plaques de verre miroir issue des déchets de l’architecture, un film polarisant de couleur émeraudes, réagissant à la lumière du jour, s’opacifiant par moment, permettant une qualité translucide qui allait rendre l’objet atypique, curieux et quasi sûr-réel, on avait parfois l’impression d’une 3D brute tellement l’aspect matière faisait fiction. Le véritable rendu a été découvert une fois monté dévoilant une nature différente de jour où l’installation reflète et déstructure son environnement, mais également de nuit, ou celui-ci n’apparaît plus qu’en silhouette d’un sombre vert, qui transparait un jeu kaléidoscopique de lumière scintillante.

    Nous aurions voulu apporter plus de finesse dans la qualité lumineuse, mais le manque de temps et de budget en avait décidé autrement, et au final ce n’est pas plus mal car dans la pénombre, elle raccroche l’œuvre dans une transcription plus proche de ce qu’on imagine être un sapin de noël.

    Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer?
    La collaboration de développement s’est faite pendant le second confinement (la demande avait été initiée à la sortie du premier déconfinement). Principalement un huit clos entre la directrice du Musée, la galerie, et le technicien sur place, responsable des productions du centre d’art.

    Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet?
    Je travaille souvent seul sur ce genre d’installation, car il fallait être extrêmement personnel et réactif étant donné la situation et la typologie du projet. Néanmoins, le studio oscille entre 2 et 5 collaborateurs selon la complexité des projets (entre design d’édition et de galerie, expérience retail pour les marques de luxe, et installation urbaine). Actuellement le studio s’agrandit et sa famille également.

    Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
    La plus grande difficulté a été de convaincre un client de passer d’un sujet classique de décoration de fête de fin d’année à un projet d’art immersif, tout en contrôlant le budget, la rigueur et la qualité de production par réunion zoom…

    Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
    Il y a eu plusieurs phases d’échanges et discussions sur quoi faire, puis de motiver les interlocuteurs sur la création de sens plutôt que le décoratif. Puis la proposition a dû être fait en une journée pour la présenter le lendemain à tous les partenaires en comité. Le développement et la production auront duré 5 semaines.

    Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
    J’aime voir et comprendre le moindre détail, avoir une claire vision de la maîtrise du sujet et pouvoir si besoin prendre le contre-pied. La distance et la langue, ainsi que la différence culturelle m’ont appris à faire pleinement confiance en passant par une communication saine et un engagement sans faille. L’équipe était au top et le résultat est parfait.

    Et pour finir, où en est ce projet?
    Je vous donne rendez-vous au musée d’Art Moderne de Saint-Pétersbourg, jusqu’au 31 janvier, 103 quai Griboyedov. Et bientôt à Shanghai, pour ma seconde installation immersive permanente dans la ville FRACTAL… stay tuned.

    Photographies : © Natalia Boikova

    Pour découvrir plus de travaux d’Arnaud Lapierre, visitez son site internet.

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