• “L’objet en question(s)” : Retour du marché est une collection de meubles en osier et bois pour la conservation des fruits et légumes

    La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs : l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux… Aujourd’hui, c’est la designer Lucie Devoillefondatrice de la marque Minji, qui nous présente Retour du marché, des créations de bois et d’osier qui permettent de conserver les fruits et légumes sans énergie dans des matériaux bio-sourcés français. Une belle rencontre entre le design contemporain et l’artisanat traditionnel que Lucie nous raconte en interview :

    Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
    Je suis Lucie Devoille designeuse, diplômée en design d’un DNSEP à l’ENSAD Nancy et d’un Master 2 en conception de produits. En 2017, j’ai réalisé mon mémoire de fin d’études sur une question qui m’intéresse beaucoup : comment le designer s’empare-t-il du problème des déchets ? C’est une problématique d’actualité que je prends en compte au maximum dans mes créations. Comment imaginer des projets qui ne génèrent pas de déchets et qui ont un impact environnemental positif ? Depuis 2018, je travaille sur la thématique de l’alimentation durable. Je réfléchis à nos habitudes en cuisine et à la façon de les faire évoluer afin de tendre vers un modèle respectueux des ressources et des saisons. J’aspire à faire évoluer les usages et les objets qui en découlent, de manière à prendre en considération la rapidité de renouvellement des matières premières, leur impact environnemental et sur la santé, leur méthode de transformation et leur esthétique. J’interroge aussi notre rapport au temps dans les usages des objets créés, je m’inspire du passé pour créer de nouveaux imaginaires respectueux de la planète. C’est suite à cet ensemble de réflexions et ces digressions que je me suis tournée vers la conception d’objets et de meubles en osier. En effet, ce matériau, cultivé notamment en France et plus spécifiquement en Haute Marne, est une ressource renouvelable, compostable, permettant de développer des formes et des usages variés.
    Minji est un studio de design que j’ai créé en 2018 dans les Vosges. J’interviens essentiellement dans le domaine de l’alimentation durable et autour de l’artisanat de vannerie d’osier. Ma démarche prône la recherche de simplicité dans les solutions que je propose ainsi qu’un retour au « bons sens ». Je m’inspire de pratiques anciennes afin de les adapter à nos usages contemporains en faisant face aux enjeux actuels de préservation de l’environnement et de création de nouveaux imaginaires en accord avec l’environnement.
    Je travaille avec des matériaux bio-sourcés, dans une démarche d’éco-conception et d’économie circulaire. L’ensemble de mon travail s’inscrit dans une démarche low tech par ma recherche de simplicité dans les technologies utilisées et slow made par mon questionnement autour de la réhabilitation de la valeur temps dans mes projets.

    Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots ?
    C’est suite à une prise de conscience sur l’impact écologique de nos pratiques alimentaires et plus spécifiquement sur nos méthodes de conservations que j’ai réfléchis à la manière d’adapter nos modes de vie à des pratiques plus sobres en énergies, par l’utilisation de techniques de conservations anciennes.
    Retour du marché est une collection de meubles low tech, destinés à la conservation des fruits et légumes à température ambiante, dans des matériaux naturels. Ces meubles s’inscrivent dans une démarche de consommation alimentaire locale, de saison et naturelle.
    Originaire de la région Grand Est, j’ai choisi de travailler avec des matériaux locaux et bio-sourcés. Pour la fabrication de cette collection, j’ai décidé d’utiliser de l’osier et du bois pour leurs propriétés physiques adaptées au contact alimentaire et pour leur provenance géographique de proximité. L’osier blanc est originaire de Haute Marne, le bois de hêtre, des Vosges. Ils ont aussi été sélectionnés pour leur empreinte carbone très faible.
    Retour du marché permet de conserver les aliments sans énergie. Cette collection vise à questionner les usagers par rapport à leurs pratiques, au gaspillage alimentaire et au temps de conservation des fruits et légumes.

    Comment ce projet vous a-t-il été confié ?
    Je suis à l’initiative de ce projet, convaincue que le développement de solutions low tech, mettant en avant les savoir-faire artisanaux, liées à l’alimentation peut limiter notre impact écologique global. Pour ces collections, je me suis inspirée de techniques et de pratiques anciennes en les questionnant par rapport à nos usages contemporains et ceci dans le but de les adapter à nos modes de vie actuels.
    Retour du marché est une collection née suite aux recherches menées au cours de mon Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique (DNSEP) à l’École Nationale Supérieure d’Art et de Design de Nancy. Cette nouvelle étape, est issue d’un travail personnel de recherche autour de la conservation sans énergie et de l’alliance entre l’artisanat vannier et l’usinage numérique du bois.

    Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet ?
    L’enjeu principal de cette collection est le travail en collaboration avec des artisans vanniers utilisant des techniques traditionnelles manuelles, non mécanisables. Leur savoir-faire et la précision de leurs gestes sont primordiaux dans la fabrication de cette collection. Cette technique artisanale et manuelle est associée à des techniques d’usinages numériques contemporaines.

    Quel était votre concept ou votre idée de départ ?
    L’idée de départ était de trouver des solutions pour réduire notre impact environnemental par l’angle de l’alimentation et plus spécifiquement de la conservation. J’ai étudié les techniques développées au cours des âges. Je me suis notamment intéressée au sellier et au garde-manger présents dans les vieilles maisons. Je m’en suis inspiré pour développer une solution adaptée à nos problématiques contemporaines.
    Selon moi, la manière dont on conserve les aliments est très liée à l’attention que l’on y porte. Pour limiter le gaspillage alimentaire, il faut réapprendre à observer les aliments, pour mieux consommer, mieux conserver et, ainsi, moins jeter.

    Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux ?
    Les fruits et légumes ont des besoins spécifiques en terme de conservation. Les pommes de terre, ail, oignon, échalote doivent être conservés dans un espace ventilé à l’abri de la lumière. Contrairement aux courges, choux, tomates, fruits et autres légumes qui sont conservés dans un espace ventilé, laissant passer la lumière. Traditionnellement, l’osier et le bois ont étés utilisés dans le développement d’objets et de meubles dédiés à la conservation des aliments comme les paniers à pommes de terre et les garde-manger.
    Retour du marché est décliné en trois modèles : circulaire, carré et demi-circulaire, afin de proposer différentes configurations selon les besoins. J’ai utilisé deux tressages traditionnels d’osier : un tressage ajouré, reprenant celui du panier à fraises, et un plein, la crocane. Ces tressages ont été sélectionnés afin d’optimiser la conservation, grâce aux passages d’air permis par les tressages, mais aussi selon leurs besoins luminosité.

    Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer ?
    Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet ? J’ai travaillé sur la définition des usages, la conception et le dessin de ces meubles. J’ai eu la chance de collaborer avec différents corps de métier : ingénieurs, artisans vanniers et ébénistes afin de prototyper ces collections. Je suis accompagnée par la couveuse d’entreprise La Boëte. J’ai collaboré avec l’atelier bois partagé Xylolab, l’AFPIA de Liffol-le-grand et le Comité de Développement et de Promotion de la Vannerie (CDPV) de Fayl Billot.

    Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées ?
    Le développement du projet s’est déroulé sans difficultés majeures. Il reste maintenant à développer la filière de fabrication de ces collections afin de les rendre disponible à la vente. Je recherche actuellement une maison d’édition, en accord avec ma démarche, pour donner une nouvelle ampleur à Retour du marché et permettre sa commercialisation.

    Sur combien de temps s’est déroulé ce projet ?
    Retour du marché a été développé assez rapidement, en effet, le projet a débuté en septembre 2018 et a été exposé dès avril 2019 à la Milan Design Week. Depuis il a subi des phases de perfectionnement et de réflexion sur son ergonomie et sa méthode de fabrication.

    Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet ?
    Ce projet a été formateur et il m’a apporté l’opportunité de rencontrer de nombreuses personnes, de développer mes compétences et de travailler avec de nouveaux partenaires. C’est aussi une source d’inspiration pour de futurs projets !

    Et pour finir, où en est ce projet?
    Retour du marché intéresse et intrigue beaucoup ! Il a été exposé à Paris, lors de l’exposition Matières à l’œuvre, dans la Galerie des Gobelins, au Mobilier National, à l’occasion de l’exposition nationale des Journées Européennes des Métiers d’Arts (JEMA) du 9 avril au 6 juin 2021.Une visite guidée de l’’exposition aussi disponible en numérique. Deux autres modèles de la collection Retour du marché sont présentés, du 19 mai au 30 septembre 2021, lors de l’exposition Les Jours Meilleurs, dans la Galerie Poirel de Nancy. Je vous conseille de découvrir ces expositions si la découverte du lien entre l’artisanat traditionnel et le design contemporain vous intéresse.

    Photographies : © Clément Netzer

    Pour découvrir plus de travaux de Lucie Devoille, visitez son site internet.

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