• “L’objet en question(s)” : Les TABOU-RETS présentés par Jean-Sébastien Blanc du studio 5•5

    La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs : l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux… Nous avons eu le plaisir d’échanger avec le designer Jean-Sébastien Blanc du studio 5•5 qui nous présente le projet TABOU-RET mené pour l’ONF.  Au-delà de la conception de ces pièces de mobilier mi arbre, mi-meuble, ce sont 100 exemplaires de ces tabourets tournés en chêne massif qui sont disséminés dans la forêt de Bercé pour une chasse au trésor sous le signe du design et de la pédagogie. Interview :

    Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots ?

    Ici poussent des TABOU-RETS est un projet manifeste du studio 5•5 pour l’ONF : 100 tabourets tournés en chêne massif, disséminés dans la forêt de Bercé pour une chasse au trésor d’un nouveau genre qui vise à lever les tabous sur la coupe des arbres : « Pas de coupe d’arbres, pas de TABOU-RETS ! ».


    Comment ce projet vous a-t-il été confié ?

    Notre rencontre avec l’ONF, s’est faite par l’intermédiaire de Nathalie Viot, la directrice de la Fondation Martell qui a proposé notre nom dans le cadre d’un projet de mécénat sur la gestion durable des forêts que développe la Maison Martell.  En effet, la célèbre maison de cognac est une fidèle cliente de l’ONF pour sa fabrication de barriques et fûts en chêne destinés à l’élevage de cognac d’exception. Cette commande s’inscrit dans le programme de Mécénat qui a pour ambition de « Rendre à la forêt ce qu’on lui prend ».


    Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet ?

    L’enjeu principal de ce projet était d’aborder un sujet délicat, souvent tabou qui est pourtant un véritable sujet de société. Il fallait trouver le bon ton, les mots justes pour faire passer un message auprès du grand public sans nourrir la polémique. Le design est ici au service d’un métier pour faire comprendre la mission de l’ONF et les actions des forestiers afin de valoriser le matériau bois comme une ressource renouvelable.


    Quel était votre concept ou votre idée de départ ?

    Au-delà de l’envie d’imaginer un projet qui permette aux promeneurs de sortir des sentiers battus pour aller explorer la forêt dans l’intégralité de son territoire, notre souhait était de faire comprendre le lien qu’il existe entre les objets en bois et la forêt. Ce qu’il faut savoir, c’est que le matériau bois est de plus en plus désiré dans notre quotidien car il représente une ressource adaptée aux enjeux environnementaux auxquels nous devons faire face. Abattre des arbres est la seule solution pour répondre à cette demande, mais soyez rassurés : les forestiers de l’ONF contribuent à faire du bois une ressource renouvelable et écologique indispensable à notre quotidien. La coupe, sujet tabou, souvent assimilée à de la déforestation, est pourtant l’impulsion d’un nouveau départ pour les jeunes semis qui attendent de grandir et de s’épanouir dans une forêt gérée durablement.

    Notre projet met en évidence qu’il faut couper des arbres, si on aime le bois.


    Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux ?

    Mi arbre, Mi-Meuble, l’esthétique finale de ce TABOU-RET, réalisé en chêne massif, est volontairement hybride pour nous rappeler les liens naturels entre l’arbre et le matériau bois. L’un n’allant pas sans l’autre, la présence de l’écorce rappelle le milieu naturel d’où le matériau provient tandis que l’assise des TABOU-RETS est quant à elle totalement manufacturée créant un contraste fort et identitaire qui se démarque dans le paysage forestier.

    La démonstration est faite, c’est bien avec des arbres que l’on produit des meubles en bois, des tonneaux, du bois-énergie, du bois d’œuvres ou encore des chefs d’œuvre architecturaux.

    La gravure sur l’assise des TABOU-RETS, rappelle les marquages ou tampons sérigraphiés que l’on trouve dans le domaine de la tonnellerie. Elle est réalisée au laser pour assurer la traçabilité et résister au temps jusqu’à la découverte de l’objet.


    Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer ?

    Nos interlocuteurs privilégiés étaient les personnes de la communication de l’ONF avec la présence très forte de la Maison Martell en la personne de Nathalie Viot, directrice de la Fondation Martell. Nous avons par la suite beaucoup travaillé avec les forestiers pour bien comprendre la forêt et déterminer les zones d’emplacement qui ne déséquilibraient pas l’écosystème.


    Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet ?

    Au sein du studio, nous étions 3 à travailler sur le projet et d’un point de vue de la production, nous avons dû faire appel à plusieurs entreprises de la filière bois. Après avoir été sélectionnées par les forestiers de l’ONF, les grumes ont ensuite été débitées à la scierie BOURDAUD BOIS (Loire-Atlantique). C’est dans le Jura, chez AS BOIS, une entreprise du patrimoine vivant que tous les tabourets ont été tournés. Une mise en œuvre qui met en lumière un savoir-faire historique dans la production de mobilier. La zone de médiation implantée sur site a été installée par les forestiers de l’ONF et c’est bien nous-même, qui avons caché, un par un, les TABOU-RETS au sein des parcelles pour que personne ne puisse récupérer les objets sans chercher. Une carte IGN est gardée secrète au studio 5•5.


    Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées ?

    Une des premières difficultés que nous avons rencontrées était tout simplement de savoir comment nous pouvions diffuser ce projet pour véhiculer le message au plus grand nombre.

    Nous avons décidé de cacher 100 TABOU-RETS en forêt domaniale de Bercé. Une idée généreuse et originale qui permet de toucher les amoureux de la forêt et qui correspond parfaitement à notre volonté de rendre le design accessible.

    Donc, si par hasard ou après de longues heures de recherches vous trouvez l’un de ces TABOU-RETS, vous pouvez l’emporter… il est à vous !

    Vous devenez l’heureux propriétaire d’une pièce rare de collections. Prenez-en soin, soyez-en fiers, partagez l’histoire de cette belle découverte avec votre entourage, elle est le fruit de plusieurs générations de forestiers. Mais surtout asseyez-vous dessus le plus souvent possible pour vous rappeler que l’ONF entretient durablement les forêts pour préserver ces écosystèmes et assurer le renouvellement du matériau bois.

    Par la suite, nous souhaitions suivre de près les découvertes et nous avons dû trouver une solution pour rentrer en contact avec les heureux propriétaires. Pour rester simple et éviter les systèmes de puces embarqués, nous avons eu l’idée de graver un message directement sur chaque TABOU-RET qui invite les gens à se rendre à l’espace Carnuta, la maison de l’homme et de la forêt située à proximité du site de chasse pour faire authentifier leur objet et laisser leurs coordonnées.

    Cela nous permet effectivement de rentrer en contact avec celles et ceux qui le souhaiteront pour avoir vent de la nouvelle vie de ces œuvres uniques et récolter les impressions des heureux propriétaires de ces TABOU-RETS. Ainsi, un suivi sera effectué au fil des mois et années pour que la chasse au trésor continue tant que des TABOU-RETS se cachent encore en forêt…


    Sur combien de temps s’est déroulé ce projet ?

    Il s’est écoulé exactement une année entière entre notre rencontre et le coup d’envoi de la chasse aux TABOU-RETS lancée le 10 novembre dernier en forêt de Bercé. Nous étions techniquement prêts dès la fin de l’été mais nous avons attendu la saison idéale pour lancer le projet afin que les paysages de la forêt soient les plus photogéniques. Il fallait également laisser passer la saison du brame du cerf de mi-septembre à mi-octobre afin de laisser l’espèce se reproduire en toute tranquillité.


    Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet ?

    Nous avons toujours souhaité que ce projet s’inscrire dans la durée pour que le maximum de personnes puisse découvrir ce site d’exception avec pour prétexte la recherche de TABOU-RET. Malheureusement après 15 jours d’opération, déjà 40 assises ont été trouvé !

    Nous sommes impressionnés et très surpris par ce nombre et avons très peur que le projet se termine plus tôt que prévu… C’est super pour les gens mais ce projet était également pour nous l’occasion de tester les effets du temps sur notre design. Nous aimons l’idée qu’au fil des années, l’objet se patine, devienne le support de mousses, de champignons et peut être le lieu de résidence de familles d’insectes… Une expérience que nous pourrons constater que si les TABOU-RETS restent en forêt.

    Nous avons confiance en nos cachettes mais apparemment les gens ratissent sérieusement et avec le recul, nous aurions peut-être dû être encore plus tactiques !


    Et pour finir, où en est ce projet ?

    A date, 4O TABOU-RETS ont été découverts, le projet connait un énorme succès auprès des familles au point que malheureusement les TABOU-RETS scellés durablement et installés autour de l’espace de médiation situé à l’entrée de la Forêt de Bercé ont été volés… Pour information, les 10 TABOU-RETS en question n’ont aucune valeur marchande puisqu’ils ne sont ni numérotés, ni signés mais c’est tout de même toujours surprenant de constater la bêtise humaine même face à une opération publique et généreuse. On va mettre ça sur une probable frustration des gens de ne pas les trouver…

    Face à ces incidents et une trop forte affluence de la zone de chasse, l’ONF a dû faire un communiqué de presse pour rappeler les règles de bonne conduite en forêt pour que cette chasse au trésor soit une réussite pleine et entière pour toutes et tous :

    • Ne vous garez pas devant les barrières en forêt.
    Garez-vous sur les espaces appropriés et respectez la signalétique. Ne bloquez ni les voies dédiées à l’intervention des secours ni celles consacrées aux travaux forestiers.

    • Ne pénétrez pas dans les parcelles en régénération.

    Les piétinements écrasent les jeunes pousses et mettent en péril les jeunes peuplements.

    Nous avons volontairement exclu ces parcelles du projet.

    • Optez pour une tenue voyante.

    Ne pénétrez pas dans les zones d’exploitation forestière ni les zones de chasse. Les calendriers de chasse sont consultables sur onf.fr et auprès des mairies de situation.

    • Limitez vos recherches à la zone indiquée.

    Retrouvez le plan de répartition des TABOU-RETS sur le panneau informatif installé au rond de la Croix Marconnay en forêt de Bercé ou disponible à Carnuta.

    Cela dit il reste 60 TABOU-RETS actuellement dans la nature et le jeu peut potentiellement durer des années.


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    Nous remercions chaleureusement Jean-Sébastien Blanc pour sa disponibilité et son enthousiasme.

    Pour découvrir plus de travaux du studio 5•5, visitez son site internet.

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