• Le nom du designer joue-t-il un rôle dans les achats?

    Par Nicolas Minvielle.

    Je me suis toujours demandé quel pouvait être le rationnel à l’achat de contrefaçons: si l’on part du principe que la personne est au courant qu’elle est face à une copie (achat d’un sac Vuitton sur un marché…), pourquoi procéder à l’achat? La création d’une identité et sa communication au travers de sa consommation sont largement traitées dans la sociologie, mais cela pose tout de même la question de la réelle valeur de la marque: si un client estime qu’il obtient la même prestation sociale en achetant une copie, comment peut-on légitimer les prix de vente de produits brandés?

    Une réponse classique tient dans la qualité des produits, mais elle n’est que peu pertinente quand on voit la qualité de certaines contrefaçons et le fait que les personnes avec lesquelles l’acheteur interagit ne sont pas forcément en mesure d’évaluer qu’il s’agit d’une copie.

    La situation est encore plus difficile lorsque l’on se tourne vers des secteurs où la connaissance de la marque est réservée à une « élite » ou en tout cas à des membres du dit secteur. On peut prendre l’exemple de l’egg: dans quelle mesure le fait qu’il s’agisse d’un original légitime peut-il la multiplication par 10 du prix?

    Une « copie »…

    …de l’original

    Même remarque pour les deux lampes qui suivent:

    Le blockbuster d’Ikea:

    Et une production Metalarte:

    Que les choses soient claires, je ne suis aucunement en train de juger de la qualité du design, (d’autant plus qu’un regard de designer y verra de réelles différences), mais juste en train de me poser la question des variables qui influencent les choix des consommateurs et les amènent à payer ce « price premium ».

    En économie comportementale, le phénomène qui induit des personnes à faire évoluer leurs choix en fonction de l’adjonction ou non de variables est intitulé « framing effect ». On en trouvera un bon exemple avec le Frankenbag. Quitte à choquer certains afficionados, je doute que la qualité esthétique du produit soit suffisante pour justifier les quelques dizaines de milliers d’euros que coûte le sac. Par contre, si l’on insère la variable « Marc Jacobs », la validation esthétique est automatique et suffisante pour justifier le prix. (et encore … ?)

    En poussant le raisonnement, on pourrait faire une remarque similaire pour ce fameux presse-citron. Si l’on devait évaluer sa valeur au regard de son ergonomie et de son « utilisabilité », il y aurait fort probablement une totale inadéquation avec son prix de vente.

    On en arrive donc à la question de savoir si l’adjonction du nom d’un designer peut permettre d’obtenir une « prime » et de faire évoluer les préférences des acheteurs. Il se trouve que trois chercheurs de l’université de Copenhague se sont posés la question avec des résultats extrêmement intéressants dans un article intitulé « Whose design is it anyway? ».

    Le cadre méthodologique est le suivant:

    1. Trois lampes sont présentées dans des grands magasins et offerts à la vente.

    La première est dessinée par Noguchi :

    La deuxième est un look-alike produit en Chine:

    La troisième est une lampe Ikea:

    L’intérêt du choix de la lampe Noguchi est de s’assurer que peu de personnes connaitront l’artiste et de valider si une narration autour de sa personne peut amener les acheteurs à modifier leurs préférences. En l’occurrence, au moment d’insérer la variable « nom du designer », les chercheurs expliqueront qu’il est présent dans de nombreux musées internationaux et qu’il s’agit d’une référence dans son domaine.

    2. Trois tests sont menés:

    Dans le premier,les lampes sont évaluées sans aucune variable autre que la présence physique des lampes.

    Dans le deuxième, les lampes sont brandées « chinoises », « Ikea » et « Noguchi ». Aucune précision n’est donnée sur Noguchi, seul son nom est communiqué.

    Dans le troisième, il est précisé qu’une des lampes (sans dire laquelle) est dessinée par le fameux designer Noguchi, et sa biographie est précisée.

    3. Les résultats sont les suivants:

    Dans le premier test, les personnes préfèrent la lampe de Noguchi (je rappelle qu’il s’agit d’une évaluation du produit tel quel), ce qui est intéressant dans la mesure où son travail semble séduire ex nihilo. Une fois que l’on rajoute le prix (le différentiel étant de 10 tout de même…), les intentions d’achat sont toujours tournées vers la Noguchi. Dans tous les cas, la lampe Ikea est loin derrière.

    Dans le deuxième test, la lampe Noguchi est toujours préférée, mais l’insertion de la marque Ikea fait passer cette dernière en deuxième position. De manière intéressante, l’effet sociologique de familiarité nourrit une préférence plus importante envers le produit qui était très mal évalué ex nihilo.

    Dans le troisième test, les personnes attribuent la marque Noguchi à la bonne lampe dans seulement 36% des cas. Pour autant, et c’est peut-être le point le plus important, les personnes révèlent une préférence pour la lampe Noguchi en termes d’intention d’achat (et ce qu’il s’agisse réellement d’elle ou non !!!). Dit autrement, le fait de donner l’information « Noguchi » a permis de mettre en place un « framing effect » suffisant pour faire évoluer les intentions d’achat vers la lampe « design by ».

    Les conclusions de l’étude sont extrêmement intéressantes et ont surtout une réelle portée opérationnelle:

    1. L’adjonction du nom Ikea a permis de faire passer un produit de « moins aimé » à « mieux aimé »

    2. L’adjonction du « design by » a impliqué une évolution importante des préférences.
    Ces deux points soulignent qu’il existe certainement un effet de renforcement potentiel important et de nombreuses possibilités de travail en termes de « design by » et de recours à des signatures de designers. Une des premières pistes serait certainement de travailler ces relations afin qu’elles dépassent les simples stratégies de communication telles qu’on a pu les connaitre jusqu’à présent :

    Cet article est également paru sur le blog de Nicolas Minvielle: design-blog.info.


    6 commentaires

    1. Prof Z dit:

      Existe t-il addiction à la notoriété comme il existe une addiction aux marques?
      Existe il une recherche de statut social par l’achat de marques statutaires qui sont identifiées par tous comme statutaire en raison principalement de leur prix élevé donc de leur rareté ,de leur qualité de fabrication et de leur design? Si on n’achète pas une fausse BMW, on achète une occasion. Pour certains, une japonaise ou une allemande VW, aura une allure de BMW avec en plus un prix inférieur et il s’en contenteront. D’autres iront chercher la rareté et l’individuation avec par exemple une coréenne presidentielle sorte de mercedes ou…. une trabant décalé.

    2. Prof Z dit:

      Le design dans les blogs n’est souvent helas que celui d’un seul sens, la vue.
      Mais quand on le voit en vrai,l’objet il est aussi celui du toucher. On peut facilement imaginer que le contact d’un siège italien ne sera pas le même que celui d’un siège chinois , celui dont on a entendu parler ne sera pas regardé de la même façon , celui qui vous raconte une histoire nous plus. Le design n’est pas textuel, il est sexuel ou du moins sensuel, relationnel . Le rationnel. Dans tous mes achats, j’ai privilégié la passion etma collection me dit que j’ai eu raison. Evidemment , ce n’est pas toujours confortable , fonctionnel, rationnel .
      J’ecoute plus la philosophie que je ne la lis; j’écoute plus le texte que je ne le lis…C’est pourquoi j’écoute des podcasts… en faisant du velo d’appart pour me maintenir en forme… et que j’ecris et je dessine sur un petit carnet rouge comme Patrick Jouin ou jaune pour aller plus vite que lui, des mots ou des concepts, des dessins pendant ce temps masqué…
      Ce qui m’interesse c’est la philosophie du dialogue, le design du dialogue… Comme dans l’antiquité on lisait à haute voix pour trouver sa voix, sa voie, son chemin pas pour s’écouter, pour se relire pour la postérité…

    3. phil dit:

      La question ne serait-elle pas: « la notoriété fait-elle vendre? »

    4. waldezign dit:

      « Ce qui m’interesse c’est la philosophie du dialogue, le design du dialogue… Comme dans l’antiquité on lisait à haute voix pour trouver sa voix, sa voie, son chemin pas pour s’écouter, pour se relire pour la postérité… »
      Euh, celle là, va falloir l’assumer! ça vient en pédalant? =D

    5. Prof Z dit:

      @waldezign… pédaler dans tous les sens du terme car la culture demande des efforts et du temps . Le design sans la culture, c’est juste un outil marketing parmi bien d’autres. ….

    6. Bertrand de L'Edito dit:

      Très intéressant, et pas si surprenant peut-être. Ce qu’il faudrait étudier sur la base de ces résultats, ce sont les raisons qui poussent des clients à mieux valoriser un produit dès qu’ils en connaissent le contexte. Il est possible de découvrir alors que si le nom de Noguchi augmente l’intérêt pour le produit, c’est peut-être parce que cela flatte la connaissance que le client a du produit, et de son univers.
      L’un des plus grands plaisirs reste d’apprendre, quel que soit le domaine. Apprendre que Noguchi est le créateur de cette lampe ne la fera peut-être pas aimer davantage du point de vue esthétique, mais sa valeur dans l’esprit du client en sera augmentée par ce qu’il saura désormais de sa place dans l’histoire du design, par ce qu’elle ouvrira comme porte de compréhension des enjeux du design, par ce que l’accès à cette part, même infime, de connaissance du monde du design procure comme plaisir. Ce facteur de plaisir à apprendre, il nous est apporté par cette lampe. La moindre des choses est de lui rendre hommage en lui accordant une plus grande valeur.
      De là à la vendre plus…

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