• L’objet en question(s): la collection Nouvelle Vague par Emmanuel Gallina pour Clen

    La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs: l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux…

    Ce mois-ci, le designer Emmanuel Gallina entre pour nous dans le détail de la collection de mobilier de bureaux « Nouvelle vague », qu’il a imaginée pour Clen: un travail de longue haleine, mené sur près de 3 ans…

    Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
    Nouvelle vague est un système de mobilier de bureau complet (bureaux, rangements, caissons, armoires, paravents, etc…) capable de s’adapter aux exigences de petits espaces comme des grands open-spaces. Il cherche à réinterprèter l’espace de travail contemporain, en répondant aux aspirations modernes de l’utilisateur ainsi qu’à l’intégration des nouvelles technologies, afin de placer l’individu au cœur de l’environnement de travail. Cette collection correspond à un désir de bien-être et de respect sur le lieu de travail, en prenant en compte les problématiques actuelles liées au stress et au besoin d’une valorisation de l’espace de bureau autour de l’utilisateur. Le projet s’inscrit ainsi dans une analyse d’ergonomie, de proxémique et d’intégration des nouvelles technologies.

    Comment ce projet vous a-t-il été confié?
    Il s’agit d’une proposition de collaboration de ma part, faisant suite à ma rencontre avec Xavier Catelas, le propriétaire de Clen. Comprenant le potentiel industriel de l’entreprise et le désir, de la part de Clen, de lancer un programme d’innovation en terme de design et d’image, j’ai proposé un travail global comme directeur artistique afin d’organiser et coordonner un projet ambitieux de repositionnement de la marque à travers la réalisation d’une nouvelle collection de mobilier de bureau, le travail autour de l’identité de la marque et également la communication du produit.

    Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
    Clen bénéficie d’une infrastructure interne impressionnante en termes d’outil de production et de diversité des techniques mises en œuvre. Cette entreprise est capable, à l’intérieur de l’usine, de travailler à très haut niveau la tôle d’acier, de fabriquer des plateaux de table et d’injecter des pièces plastiques. Je me suis logiquement appuyé sur le savoir-faire technologique des équipes de techniciens, afin d’exploiter de façon innovante cette richesse de compétences.
    Les enjeux du projet étaient de refléter, dans la collection Nouvelle Vague, cette habileté technique qu’offre l’outil productif de Clen tout en projetant la marque vers l’univers haut de gamme du bureau et de l’aménagement intérieur contemporain.
    La difficulté résidait dans une profonde analyse des compétences de l’entreprise afin de les réinterpréter pour trouver des solutions technico-formelles fortement innovantes et aptes à créer une identité propre et contemporaine.
    D’autre part, le monde du bureau est extrêmement complexe et englobe une quantité impressionnante de contraintes qu’il a fallu intégrer dans le projet, tout en maintenant une forte qualité créatrice.

    Quel était votre concept ou votre idée de départ?
    Nouvelle Vague se positionne sur deux axes complémentaires gardant comme priorité l’idée de vivre l’espace de travail comme une expérience positive. Ces deux axes sont d’une part le confort domestique, et d’autre part l’établi de l’artisan.
    Tout comme l’artisan à son établi, l’utilisateur de nouvelle vague se voit offrir un large panel de fonctionnalités qu’il s’approprie de façon simple, naturelle, et qu’il pourra également adapter intuitivement à ses propres besoins comme des “plug-in”. Il s’agit véritablement d’une forte valeur ajoutée dans la flexibilité et l’usage du bureau.
    Nouvelle vague offre ainsi une collection complète d’éléments satellites, capables de répondre naturellement à toutes les exigences que nécessitent le travail contemporain et ses multiples facettes.
    A ces fonctionnalités répondent par ailleurs un souci esthétique ainsi qu’une offre de matériaux et finitions visant à s’adapter dans différents espaces de travail.

    Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
    Nous avons deux univers qui cohabitent: l’élégance, la chaleur et la modernité, qui caractérisent l’atmosphère globale, sont plutôt proches de l’habitat, et de l’autre côté l’accessorisation, la flexibilité et les nouveaux usages apportent quant à eux une vision fonctionnelle adaptée aux technologies d’aujourd’hui.
    Les matériaux chaleureux, la douce intégration des couleurs souvent bannies du bureau, les tissus d’une qualité tactile et visuelle élevée, les formes douces mais harmonieusement découpées participent à créer cet univers domestique propice à une meilleure interaction entre les acteurs sur l’espace de travail qui devient tout à coup plus sympathique.
    Certains rangements (tablette avec paroi, caisson, etc…) participent également à un isolement propice, à
    une meilleure concentration et une division visuelle et acoustique de l’espace.
    Nouvelle Vague offre ainsi un univers où se côtoient jeux de transparence et espaces d’intimité, qui favorisent des conditions d’échange ou de travail individuel de façon très intuitive. Par exemple, des écrans de séparation en forme d’arbre ou de feuille – selon la perception de chacun – évoquent un environnement naturel réinterprété, formant une forêt domestique.

    Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer?
    J’apparente souvent le designer à un chef d’orchestre. Et ce fut particulièrement vrai ici, car ce projet ambitieux est le fruit d’une collaboration avec plusieurs corps de métier et plusieurs compétences.
    Dans ce type de projet, le designer est en effet au centre de l’organisation, et il doit mener le projet de façon cohérente et logique, tout en étant à l’écoute de tous les acteurs. Il doit collaborer à tous les niveaux du projet et savoir de temps en temps changer les habitudes de l’entreprise avec son regard extérieur.
    Aujourd’hui, le designer doit non seulement être capable de créer des formes, harmoniser des couleurs, intégrer des matériaux mais il doit surtout être capable d’appuyer une stratégie de repositionnement de marché, de donner une identité à un produit mais aussi à une marque, de répondre en termes d’image à une vision de l’entreprise. Le designer crée ainsi non seulement un produit mais également une image apte à être identifiée sur un marché de plus en plus complexe et bouché.
    Ainsi, il faut travailler la matière avec des ouvriers spécialisés, discuter stratégie d’image avec le chef d’entreprise, dialoguer avec le marketing et les commerciaux de façon à comprendre la réalité du marché, rencontrer des architectes et space-planner de manière à analyser leurs exigences, etc.
    D’autre part, l’aspect communication du projet était un enjeu à part entière, où mon rôle était d’encadrer et coordonner graphiste, web-designer, photographe, créateur d’images virtuelles… Là aussi, il ne s’agit pas de diriger, mais plutôt de mettre en place un travail de collaboration où chacun a son mot à dire. Le designer devient ainsi le garant de la vision et de la cohérence du projet.

    Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet?
    Probablement une vingtaine de personnes sont intervenues depuis la conception, la mise en œuvre technique, la modélisation 3D, la fabrication de prototypes, les recherches matériaux, tissus et couleurs, jusqu’au travail plus axé sur l’image et la communication (graphistes, spécialistes rendus d’images virtuelles, photographe, etc.). Notre agence s’appuie sur ses capacités internes et sur un réseau de professionnels très spécialisés et performants dans un domaine donné.

    Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
    La difficulté de ce type de projet, assez complexe au niveau de la mise en œuvre, est la coordination et le contrôle du projet dans sa globalité et sa modularité (de la vis jusqu’à la composition spatiale 6 places ou plus). Le risque est de ne pas avoir toute la maitrise du système.
    Pour contourner ce problème, la politique de l’agence est de contrôler le dessin technique dans les moindres détails afin d’offrir le maximum de solutions au projet, tout en échangeant avec les techniciens pour trouver les bons compromis.
    Nous avons donc mis en œuvre avec le client une plateforme 3D unique, en utilisant le même logiciel de modélisation, afin d’échanger directement les informations en 3D, ce qui facilitait le travail, le rendait plus rapide et précis.
    Cet effort d’”ingégnérisation” au sein de l’agence a permis de trouver des solutions technico-formelles extrêmement innovantes et de mener le projet vers une direction certes technique mais très créative tout en maitrisant le projet à la fois dans le détail et dans sa globalité. Au final, il n’y a pas une pièce qui n’a pas été modélisée dans l’agence.
    L’autre problématique était de dialoguer avec un industriel français qui n’est pas habitué à une démarche de design ou d’expérimentations comme je peux trouver chez mes clients italiens. Il a donc fallu expliquer, illustrer et dialoguer, de façon à amener petit à petit l’entreprise vers des choix souvent en rupture avec son mode de fonctionnement traditionnel. Il s’agit presque d’une approche didactique. Et j’ai eu la chance à ce niveau d’avoir un partenaire relativement ouvert.

    Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
    Un peu moins de 3 ans, ce qui est assez long mais là aussi, les rythmes des entreprises françaises sont plus longs par rapport à l’immédiate réactivité des italiens. Cependant, cela reste cohérent vu la complexité technique du secteur et du travail global effectué en termes de design management et direction artistique.

    Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
    J’aurais tendance à approfondir certains domaines qui n’ont pas pu être explorés jusqu’au bout pour des motifs stratégiques et des difficultés de mise en œuvre.
    En effet, l’intégration des technologies auraient mérité d’être plus développé, tout comme le domaine de l’acoustique où l’expérimentation sur des nouveaux matériaux qui auraient pu donner naissance à des dynamiques innovantes.
    Idéalement, j’aurais aimé créer une synergie avec d’autres acteurs très spécialisés, mais il n’est jamais trop tard et je me rapproche actuellement de sociétés leaders dans ces secteurs.
    Avec le recul, je tenterais également d’intégrer plus de matériaux eco-compatibles que nous l’avons fait, mais là aussi cela bouge très vite et il est toujours temps d’améliorer le produit dans ce sens.

    Et pour finir, où en est ce projet?
    Le projet global est pratiquement terminé, la mise au point industrielle du produit est finalisée et les retours sont excellents en termes d’image et d’identité pour Clen. Nous avons déjà reçu 2 labels (Label Observeur du design 2012 et Label Via 2011). Clen doit par ailleurs engager cette année une politique de communication afin de faire connaitre le produit, de gagner en visibilité et de gagner des marchés. Le catalogue est imprimé, le website en ligne, et un lancement officiel est prévu cette année…

    Quelques images du projet:


    Croquis.


    Croquis.


    Croquis et proto.


    Prototype.


    Prototype.


    Vue 3D.


    Vue 3D.


    Photo.


    Photo.

    Pour en savoir plus sur le travail d’Emmanuel Gallina, vous pouvez consulter son site Internet: www.emmanuel-gallina.com.

    Vous pouvez également visiter le site dédié à cette collection: www.clen-nouvellevague.com.


    1 commentaire

    1. Gallety dit:

      Réalisation très intéressante, qui devrait encourager les collaborations designers/industriels. Un regret quand à l’intégration de la technologie qui devrait être plus développée. Tous mes vœux de succès !

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