• État des lieux de la promotion et de la valorisation du design en France – Deuxième partie*

    Par Irène Berthezène.

    *La première partie a été publiée la semaine dernière, et la troisième et dernière partie sera publiée la semaine prochaine.

    La dixième tribune critique « design au banc », excellente initiative menée conjointement par le VIA et le Centre Pompidou, s’est tenue en fin d’année dernière. Le sujet, hautement d’actualité en ce début de campagne électorale pour les présidentielles de 2012, était énoncé de deux manières différentes selon les supports : « politiques du design », ou « design et politique ». Hésitation qui en dit long sur la polysémie de ces deux termes, mais surtout sur les divergences de point de vue sur le sens à donner à la relation entre le design et la politique : Le design comme secteur économique à soutenir et valoriser, ou/et le design comme outil de construction de la cité?

    Malheureusement, en une heure et demi, les intervenants (Chloé Braunstein-Kriegel, experte et critique en design, Jean-Charles Gaté, directeur de la publication Design fax, et Yves Mirande, journaliste et consultant design) ont tout juste eu le temps de donner quelques exemples d’actions publiques ou privées plus ou moins réussies en faveur du design, au niveau local, régional et international. Ce qui aurait pu être des bases de réflexion sur les initiatives à mener en matière de politique du design en sont restées au stade d’exemples. Chloé Braunstein-Kriegel, qui exposait la partie internationale, a à peine eu le temps d’esquisser quelques pistes intéressantes sur le potentiel du design en matière de politique, lorsqu’il est pensé autrement que sous forme d’évènements culturels à fort potentiel de communication. Difficile de leur reprocher de n’avoir pas fait plus qu’un état des lieux, le temps était limité et le sujet à prendre avec des pincettes. Il faut dire qu’il provoque facilement le débat, et comme l’a rappelé avec tact Michel Bouisson en introduction, chacun des intervenants était partie prenante dans l’affaire, lui-même, le médiateur, représentant les valeurs (et les intérêts) du VIA.

    La mise en garde était utile puisque la tribune a effectivement failli tourner au pugilat. Lyne Cohen Solal, adjointe au maire de Paris chargée du commerce, de l’artisanat, des professions indépendantes et des métiers d’art, était présente dans la salle et s’est vivement défendue des accusations portées à l’encontre de la mairie de Paris au sujet du projet « Docks en Seine »*, en mal de vocation précise et de locataires. Elle a renvoyé la balle aux organismes de valorisation du design, qui ne fourniraient pas d’annuaire de designers. Accusation à moitié fondée, puisque s’il existe bien des bases de données sur les designers sur les sites du VIA, du Lieu du Design et de l’APCI, aucune n’est vraiment complète, interactive, pensée comme véritable outil de travail pour les entreprises, mais aussi pour les designers.

    Ce qui nous ramène au sujet principal. Au delà des frictions et petites mesquineries que la tribune a mis en lumière, on rêverait qu’elle soit le point de départ d’une concertation nationale auprès des acteurs du monde du design (designers, entreprises, organismes de valorisation du design, syndicats, écoles…) sur ce que pourrait être une politique du design en France. Et il y a urgence si l’on veut faire bouger les choses pendant le prochain quinquennat. Alain Cadix, directeur de l’ENSCI/Les Ateliers, a brillamment ouvert la voie en janvier dernier avec son point de vue publié dans Le Monde des Idées « Pour un secrétaire d’Etat chargé du design ». Il y explique de manière didactique en quoi le design est source d’innovation pour un pays, et propose une dizaine de mesures à prendre pour mieux l’intégrer dans la vie publique. Pour le moment, c’est au niveau régional que les initiatives sont les plus intéressantes. Il faut citer la 27ème région, « laboratoire de transformation publique » qui propose aux régions d’expérimenter des méthodes de design dans des actions publiques, prenant ainsi une longueur d’avance sur les ministères (voir leur ouvrage « Design et Politiques Publiques »). Enfin laconservatrice du département design du Musée d’Art Moderne de New York Paola Antonelli nous fait rêver avec son article « On Governing by Design » paru sur le site de Seedmagazine. Peu importe la nationalité de celui ou celle qui a de bonnes idées. Elle aussi voit le design comme une méthodologie progressiste, basée sur des scénarios qui mettent l’individu au cœur de toutes les problématiques publiques. Elle cite notamment les Pays-Bas, Singapour, la Corée comme exemples à suivre.

    Chloé Braunstein-Kriegel a employé le mot juste jeudi dernier, rappelant qu’il s’agit pour les décideurs politiques d’avoir une vision pour le design ; et Frans Timmermans, alors ministre néerlandais des Affaires Européennes, était allé plus loin à l’occasion de l’exposition « Archéologie du futur : 20 ans de tendances vues par Lidewij Edelkoort » présentée en 2009 à l’Institut néerlandais de Paris : « je suis étonné de voir que le design, en France, n’a pas cette place primordiale qu’il devrait avoir. Le design a un impact sur la politique. Il ne sert pas uniquement à vendre des produits, il est une vision de la politique d’un pays« .

    Oui, le projet de design remet en permanence l’humain au centre du processus de création. Oui, il est un vecteur d’innovation dans les domaines de la santé, de la solidarité, de l’éducation, des énergies, du logement, pour ne citer que quelques thèmes de campagne. Oui, les designers ont l’imagination et les outils nécessaires pour proposer de nouvelles manières de vivre ensemble. N’est-ce pas cela, faire de la politique? Alain Cadix a exposé de nombreuses idées à mettre en œuvre dans ce sens. D’autres modalités de participation des designers à la vie politique pourraient se définir au sein de la démocratie participative. Il s’agirait pour eux de prendre une part active dans les processus de coproduction citoyenne, via internet notamment, déjà en place dans d’autres pays comme l’Islande, et sur lesquels de plus en plus de partis français travaillent. Alors quel organisme de valorisation du design est prêt à relever le défi d’une « coproduction citoyenne de designers » pour 2012?

    Notes:
    *Baptisée « la Cité de la Mode et du Design », ce bâtiment vert en bord de Seine qui intrigue les parisiens depuis quatre ans n’a toujours pas été inauguré. Il devrait l’être en mars 2012. Pourtant la vocation du lieu reste floue, et les locaux sont pour le moment peu occupés. Aucun axe fort ne semble s’être dégagé des différends qui opposent sur le sujet la Mairie de Paris et la Caisse des Dépôts (via sa filiale Icade).

    Cet article est également paru sur le blog d’Irène Berthezène: Projectitude.


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