• État des lieux de la promotion et de la valorisation du design en France, suite (et fin)*

    Par Irène Berthezène.

    *Le sujet a déjà fait l’objet de deux articles, publiés le 9 février et le 16 février.

    Nous avions déjà relevé, dans notre premier article, le peu de visibilité sur les actions de l’État français en faveur de la promotion et de la valorisation du design. Il faut croire que le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie s’est fait la même réflexion puisqu’Éric Besson, Ministre chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique a fait palpiter la planète design à l’occasion de son discours (téléchargeable ici) lors de la 9ème conférence européenne sur les enjeux du design en Europe, le 9 janvier 2012.

    L’intervention d’Éric Besson a clôturé la conférence organisée par l’APCI en apothéose pour cette dernière et pour sa présidente Anne-Marie Boutin. Après avoir rappelé l’importance de l’intégration du design dans les entreprises, et s’être félicité de l’existence du site www.entreprise-et-design.fr (sic), le ministre a en effet annoncé la création d’un Centre National du Design, une « plateforme du design en France » sur le modèle de celles existant en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas. Sa construction a été confiée l’APCI. Si tout le monde s’accorde à saluer l’initiative tant attendue, la nouvelle a provoqué quelques remous dans le bain déjà très tiède des organismes de promotion du design qui ont été tenus à l’écart de ce projet, et qui n’ont pas hésité à émettre immédiatement quelques réserves sur son pilotage par l’APCI, son programme ou son budget. Il est décidément frappant de constater à quel point le design est un gâteau appétissant qui provoque convoitise et jalousie.

    Laissons là ces querelles de boutiquiers et analysons un peu l’initiative d’Éric Besson. Le ministre souhaite, outre la création de ce centre, l’intégration du design dans l’action des pôles de compétitivité*, et l’élaboration d’un référentiel des métiers du design à usage des entreprises (Ce dernier point satisfera sans doute l’adjointe au maire de Paris chargée du commerce, de l’artisanat, des professions indépendantes et des métiers d’art, Lyne Cohen Solal (lire l’article du 05/12/11)). Voilà pour les lignes directrices très générales, à mettre en œuvre par l’APCI avec un budget restreint : un million d’euros. Le tout est donc plus une ébauche d’un dispositif dont les cases restent à remplir, qu’un projet nourri par des idées audacieuses pour le design. On est loin d’une vision ambitieuse d’une profession impliquée dans la vie et la transformation de la société.

    Et pourquoi pas? Dans le domaine du design comme ailleurs, il n’est plus très réaliste de tout attendre d’un État aujourd’hui assez peu providentiel. Les clefs du projet se retrouvent donc dans les mains d’Anne-Marie Boutin. La présidente de l’APCI, pour qui  la nouvelle ressemble fort à une consécration, a déjà annoncé que la priorité pour elle et son équipe (pas de formation d’une nouvelle équipe pour le moment, pas de lieu dédié non plus) serait de trouver des fonds privés pour faire fonctionner le centre. Au delà de l’aspect financier (et des règlements de compte avec les autres organismes de promotion du design) les actions à mener n’ont pas été vraiment énoncées.

    On l’aura compris dans le discours de M. Besson, il s’agit avant tout de valoriser le design au sein des entreprises. C’est la grande idée plus très nouvelle qui fait courir tout le monde, à toutes les échelles de l’organigramme embrouillé des « décideurs » du monde du design. Bien sûr, les designers ont tout à y gagner : des emplois, une clarification de leurs fonctions, une reconnaissance de leur pratique. Bien sûr, c’est une bonne idée. Mais ne peut-on pas, enfin, dépasser les enjeux économiques du métier, ou du moins s’en affranchir quelques instants, le temps d’une réflexion plus théorique, plus culturelle peut-être, sur l’avenir de la profession, sur ses transformations en cours et à venir, sur ses besoins et ses ressources? Qui, mieux que les designers, sait ce qui pourrait être moteur pour eux, ce qui pourrait les aider à fédérer leur profession, à en faire un outil économique, social, culturel indispensable pour la France? Un Centre National du Design, certes, mais pour qui, si ce n’est pas pour les designers?

    Au fil des ces articles, deux constats se sont imposés. Le premier, c’est que la promotion et la valorisation du design en France ressemble fort pour le moment à une vaste cour de récréation. Le deuxième est un comble : il semble que nous, designers, soyons les grands oubliés de la politique du design en France. La plupart des designers l’ont compris, qui n’attendent plus rien depuis longtemps de ces organismes, mais préfèrent mener à bien et avec cœur de beaux projets pour les individus et leur environnement, pour les groupes, pour la société. C’est ceux là que je préfère, au travers de mon blog PROJECTitude, aimer et relayer. Le Centre National du Design n’a pas encore vu le jour, il est peut-être déjà le terreau d’idées formidables pour les entreprises, et on lui souhaite bonne chance, sincèrement. Mais pour faire émerger les beaux projets et interroger les designers sur l’avenir de leur profession, PROJECTitude a décidé de ne pas l’attendre.

    Notes:
    * Un pôle de compétitivité rassemble sur un territoire donné, des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de formation pour développer des synergies et des coopérations. L’enjeu est de s’appuyer sur les synergies et des projets collaboratifs et innovants pour permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan dans leurs domaines en France et à l’international.

    Cet article est également paru sur le blog d’Irène Berthezène: Projectitude.


    16 commentaires

    1. Marc Sicard dit:

      Hé bien … trois articles en trois semaines, pour finir sans la moindre analyse ni proposition en queue de poisson sur une autopromotion sans scrupules. C’est peu de dire que je suis déçu.

    2. Es dit:

      Et, question : que deviendra l’APCI quand ce fameux Centre national du design verra le jour ?

    3. Tank dit:

      Complétement d’accord avec Marc Sicard…

    4. waldezign dit:

      Bon, bin c’est pas folichon… En même temps, on s’en doutait un peu. A voir les difficultés et l’incompréhension rencontrées chaque jour en poste en entreprise, on se doute que plus que la valorisation/promotion du design, qui me fait plus penser à un genre de lobby, ce qui est éthiquement critiquable, il s’agirait plutôt de penser FORMATION. Et de ce point de vue, il est probablement plus… probant de porter nos efforts sur l’éducation en design (sensibilisation, travaux pratiques, méthodologie…) des élèves du collège ou du lycée, ceux qui seront les acteurs de l’industrie de demain, que sur nos collègues ingénieurs, commerciaux, financiers et dirigeants, qui sont pour la plupart perdus pour la France, si j’ose dire…
      Cela peut sembler critique, mais c’est certainement réaliste.

    5. Alberto dit:

      @wald;

      Mais ils ont pensé à la formation!
      Une maîtrise design: c’est une thèse rédactionnelle à présenter devant un jury d’universitaires!
      Et après sa thèse de design, on fait quoi? On continue un Doctorat! C’est cela la suite logique d’une thèse: pouvoir écrire encore mieux sur le design en préparant son doctorat.
      Nous aurons donc de plus en plus de machins pour occuper ceux qui « pensent » le design.
      Et ils pourront enseigner le « design » aux lycéens. Avec des exercices pratiques. Construire des sièges en contre plaqué. Ou peindre en bleu lazure des vieux tabourets pour faire plus design.

    6. Alberto dit:

      Pourquoi partir d’une certitude?

      Faut-il vouloir qu’il y ait une « politique » du design?
      Est-ce vraiment l’interêt du design et des designers qu’il y ait une « autorité » qui régule le design?
      Un ordre? Un syndicat? Des fonctionnaires? Des bureaucrates?….
      L’essence même du design n’est-il pas, justement, qu’il n’y ait pas de « politique ».
      C’est cela sa force, sa liberté, sa réactivité….Son fondamental.

    7. Enki dit:

      Ainsi, l’état a donc appelé une association privée, l’APCI (1), pour gérer la promotion du design en France, principalement ses liens avec l’industrie et l’économie. Pourtant, il y a quelques temps, le directeur de l’ENSCI Alain Cadix militait dans les lignes du monde.fr (2) « pour un secrétaire d’état chargé du design ».
      Que faut-il comprendre ? L’état serait-elle en train de privatiser une partie de sa gouvernance ou bien est-ce je l’espère le premier pas vers une reconnaissance plus homogène du domaine ?

      @waldezign
      À mon humble avis, il y a des choses bien plus importantes à enseigner que le design dans les collèges et les lycées. D’ailleurs, qu’est-ce que justifie de sensibiliser davantage le design que d’autres métiers ou d’autres domaines ?
      Mais avant tout, il serait bon de clarifier l’enseignement du design en France : par exemple désolidariser l’enseignement du design des écoles d’art, à l’image de l’ENSCI et de nombreuses institutions privées, et puis surtout développer un réseau d’ENCI (École Nationale de Création Industrielle) dans les grandes villes de provinces pour rendre accessibles les métiers du design.

      1 – « Créée en 1983 à l’initiative des ministres chargés de l’industrie et de la culture, […] et devenue entièrement privée en 1993 » http://www.apci.asso.fr/?cat=1
      2 – http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/06/pour-un-secretaire-d-etat-charge-du-design_1461207_3232.html

    8. waldezign dit:

      « À mon humble avis, il y a des choses bien plus importantes à enseigner que le design dans les collèges et les lycées. D’ailleurs, qu’est-ce que justifie de sensibiliser davantage le design que d’autres métiers ou d’autres domaines ? »

      Oui, comme préparer une salade de riz, coudre une trousse en jean ou faire des barres parallèles, toutes ces activités qu’on ne peut pas pratiquer en dehors du lycée, dans le cadre familial ou associatif, par exemple…
      En revanche, apprendre la démarche de création, se poser des questions sur les objets qui nous entourent et nous servent au quotidien, en voilà des compétences totalement inutiles… et puis sensibiliser le plus grand nombre pour augmenter la diversité et la qualité des étudiants en design en France (et accessoirement confronter les autres à ce métier, futurs ingénieurs, financiers ou entrepreneurs), c’est totalement superflu.
      Restons mauvais, tout est très bien comme ça!

    9. Alberto dit:

      @ Enki;

      Oui, tu as totalement raison. il faut désolidariser les écoles d’art et les écoles de design. Quelle preuve d’ignorance et d’incapacité à penser le design que d’avoir solidariser art et design dans des écoles.
      Ce qui prouve aussi qu’il faut aller plus loin que désolidariser les écoles d’art et les écoles de design. Il faut mettre en place une situation pour que  » l’esprit artistique » ne puisse pas revenir polluer  » la pensée design ». Cela est un glissement naturel et habituel en France.
      Pour l’ensci. Je pense que cette école a fait déjà trop de mal au design et à sa crédibilité. Il n’est pas souhaitable de lui donner la possibilité d’en faire encore plus.

    10. waldezign dit:

      « Pour l’ensci. Je pense que cette école a fait déjà trop de mal au design et à sa crédibilité. Il n’est pas souhaitable de lui donner la possibilité d’en faire encore plus. »

      Pour ça, tu n’as pas tort (même si tu es encore dans l’aigreur négative).

      Quant à « l’esprit artistique », il est surtout décrié par les médiocres qui en sont dépourvus. Un designer, sans cette touche spécifique, c’est un ingénieur. Bref sans intérêt dans la fonction de designer, sans valeur ajoutée (le bon sens ne fait pas tout, et tout le monde peut en avoir).
      Cela dit, désolidariser l’enseignement de l’Art et du design est nécessaire, en tout cas dans les études supérieures.

    11. Alberto dit:

      Tu sembles avoir les mêmes idées que moi. Moi, ce serait par aigreur négative et toi par clairvoyance dans la positive attitude!!

      PS « esprit artistique »: On ne va pas refaire ce débat d’étudiants qui se cherchent?
      Mais oui, dans l’art et  » l’esprit artistique » il y a des trucs utiles aux designers.
      C’est vraiment dommage d’être obligé de le préciser!

    12. Enki dit:

      @waldezign
      Le lycée général propose différentes filières. Parmi celles-ci, la filière littéraire propose l’option art et histoire de l’art. Donc « apprendre la démarche de création » existe bien au lycée. Après on peut éventuellement discuter quelle orientation serait la plus pertinente pour des études en design. (pour l’ISD c’est obligatoirement un bac S…)
      Ensuite, « se poser des questions sur les objets qui nous entourent » n’est pas uniquement relatif au design et devrait selon moi être une activité citoyenne. C’est une question d’orientation je pense. Après tout, pourquoi les cours de philosophie ou d’histoire n’aborderaient-ils des questions en lien avec le design ?

      @Alberto
      Le design a réellement besoin d’indépendance culturelle et intellectuelle pour obtenir une légitimité forte. L’architecture l’a très bien fait. Cela ne signifie pas de couper les ponts avec le milieu artistique.
      Je prends l’exemple de l’ENSCI car à ma connaissance c’est la seule école publique dont l’enseignement soit exclusivement du design. Tout n’est pas à jeter. Certains projets sont excellents mais je trouve que d’autres, sous le principe maladroit d’une démarche prospective, sont totalement déconnectées de la réalité industrielle qu’est censé défendre l’établissement. Comme l’a écrit Pierre-Damien Huyghe, ces propositions fonctionnent « sous un principe de captation de l’imagination » où « l’objet se trouve réduit au statut inévitablement discursif d’une idée de lui-même » (1).
      Ce que je reproche surtout à l’ENSCI ce n’est pas son enseignement, c’est sa raison d’être. Le fait que sa genèse se soit produite à l’envers. En 1988, le gouvernement a ouvert une école « supérieure » sans que cela soit l’aboutissement d’un enseignement « commun » du design. De fait, à titre personnel je comprends le terme « supérieur » dans le sens de la « noblesse d’état » chère à Bourdieu : loin de démocratiser l’enseignement du design, l’ENSCI est réservée à une caste, une caste qui a les moyens de faire officieusement une prépra dans une école d’art de province pour se constituer un portfolio.

      1 – « Design et existence » dans « Le design, essais sur des théories et des pratiques »

    13. La Revue du Design dit:

      @Alberto: Je crois vous avoir déjà expliqué les quelques règles de politesse que j’entendais maintenir au niveau des échanges qui se déroulent sur ce site.
      Je ne publierai donc pas votre dernier commentaire !
      Je souhaite effectivement que ce site soit ouvert aux échanges et aux débats, mais dans le respect des idées des uns et des autres plutôt que dans le dénigrement constant.
      Et si ces quelques règles que j’estime élémentaires ne vous conviennent pas, je vous invite à aller déverser votre bile ailleurs.
      Merci
      AC

    14. Alberto dit:

      @Enki;

      Mais oui, le design a besoin d’indépendance culturelle et intelectuelle. 100% d’accord.
      Mais est-ce que ce besoin servirait à justifier que le design soit inféodé au « reflexe artistique »? Comme si les artistes agréés et subventionnés étaient la référence de la liberté de pensée!
      Ton exemple des archi. Interessant. 30 000 archis âgrées. Oui, ils protégent leur statut d’artistes. Mais n’ont-il pas coupé les ponts avec l’humain? Ils sont dans l’art et le geste architecturale. Bien loin de comprendre les attentes sensibles des Hommes et de la société. ( Sans parler du retard qu’ils ont dans la pratique des outils modernes) Et ce besoin qu’ils n’ont pas su satisfaire a été comblé par les architectes d’intérieur ( et des designers). Bel exemple d’un ordre et d’une profession protégée qui se meurt et qui ne peut survivre que par une protection législative et le lobbying.
      Encore d’accord avec toi sur l’ensci. Oui, c’est le formatage d’une « noblesse d’état. » Ou pour être plus dur la formation de serviteurs de la noblesse d’etat.
      Quelque soit la question, leur réponse est convenue et attendue. Dans les codes. Conforme à la pensée correcte du microcosme parisien.

    15. waldezign dit:

      @Enki
      « Le lycée général propose différentes filières. Parmi celles-ci, la filière littéraire propose l’option art et histoire de l’art. Donc « apprendre la démarche de création » existe bien au lycée. Après on peut éventuellement discuter quelle orientation serait la plus pertinente pour des études en design. (pour l’ISD c’est obligatoirement un bac S…) »

      Je pense a contrario que:
      1/ l’enseignement de l’art (et encore plus particulièrement de l’histoire de l’art) n’est pas nécessaire dans la formation du designer. Ce n’est pas interdit non plus, mais pas utile (en tant qu’enseignement). De plus la création artistique et la créativité « produit » sont deux activité assez éloignées…
      2/ le design doit être enseigné (selon moi) au collège, en classes de 4eme et 3eme, à la place des cours de « bricolage » qui pourraient se limiter aux 6eme et 5eme. Evidemment, je parle de la démarche et de la pratique simplifiée du design, dans le but de sensibiliser le maximum de futurs actifs.
      3/ il pourrait subsister une option design au lycée, notamment pour les filières scientifiques (le design est un métier pragmatique), pour achever de capter les plus motivés (et ainsi de les préparer au mieux aux écoles supérieures)

      « Ensuite, « se poser des questions sur les objets qui nous entourent » n’est pas uniquement relatif au design et devrait selon moi être une activité citoyenne. C’est une question d’orientation je pense. Après tout, pourquoi les cours de philosophie ou d’histoire n’aborderaient-ils des questions en lien avec le design ? »

      Juste un rappel: le design est une activité pratique et pragmatique, il y a effectivement beaucoup de pipeau autour, mais l’essence du métier est la création d’objets dans un but d’utilisation de ces objets. Donc la philo et l’histoire… réservons les à des sujets sérieux. Là ils s’agit d’Economie, de renforcer la compétitivité de notre industrie, d’éviter de sombrer dans la déchéance (déjà bien entamée), de maintenir une activité industrielle suffisante pour notre Société. Le design est un des moyens d’y parvenir, mais notre niveau général est mauvais dans ce domaine, c’est donc mal barré.

      Après, on peut se satisfaire de cette médiocrité… et de notre retard sur le plan international!

    16. Béatrice Gisclard dit:

      http://www.alliance-francaise-des-designers.org/blog/2012/03/12/defendre-et-promouvoir-les-designers-et-le-design-quelles-nuances.html

      Pour compléter l’intéressante analyse de l’auteur, l’AFD publie « défendre et promouvoir les designers et le design, quelles nuances ? »

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