• Un contexte favorable au design

    Par Christian Guellerin.

    Le design profite aujourd’hui d’un contexte particulièrement favorable à la création et à l’innovation, un contexte socio-économique bouleversé par la globalisation qui a besoin de retrouver du sens et des valeurs. Il est temps de passer du “Made in” au “Designed by” pour affirmer l’identité des produits, retrouver du sens à leur conception et à leur consommation. Assises sur une reconnaissance historique de la création française, Les écoles de design bénéficient d’atouts de développement et de rayonnement à l’international dont les écoles d’ingénieurs et de commerce ne disposent pas.

    La remise en cause des valeurs spirituelles et morales

    La globalisation, le choc des cultures remet en cause l’ensemble des valeurs morales et spirituelles sur lesquelles nous avions bâti et structuré nos sociétés. Dieu n’est plus seul au monde, la famille se décompose, l’école n’est plus un sanctuaire, le travail n’est plus une vertu, le droit prend le pas sur la morale, et même la science qui par essence n’a pas de morale devient suspecte au point que certains recommandent le déclin.

    Les individus qui ont besoin de spiritualité se mettent à chercher dans tous les objets qui les entourent le sacré et la morale qui leur échappent par ailleurs.

    Il y a là une démarche “panthéique” à rechercher “Dieu”, du sens, de la valeur, dans les objets les plus simples et d’apparence les plus futiles. Il s’agit de retrouver du sens et de la vertu, de l’identité en toutes choses.

    De la globalisation à l’identité

    Plus nous serons globalisés, plus nous serons standardisés, plus l’identité va devenir une valeur prioritaire. Les pays qui vont pouvoir marquer leur design et y affirmer des valeurs culturelles “différenciantes” vont mieux que les autres se positionner sur les marchés de valeur ajoutée. Il y a un enjeu à passer d’un label “Made in” à un label “designed by” pour affirmer l’origine, la qualité et la charge de sens d’un produit.

    De nouveaux paradigmes industriels

    “Il ne s’agit plus de faire de mieux en mieux ce que l’on sait faire, mais de faire autre chose avec ce que l’on sait faire”.

    L’émergence de nouveaux pays industriels riches en main d’œuvre bon marché a totalement bouleversé les paradigmes industriels sur lesquels les économies étaient assises. Depuis 150 ans, les entreprises travaillent sur le rendement, la productivité, les économies d’échelle et les effets d’apprentissage pour assurer leurs marges. Depuis 150 ans, il s’agit de faire de mieux en mieux, ce que l’on sait faire.

    Tout cela n’a du sens qu’à la condition d’une concurrence loyale quant aux coûts de production. Comme il est vain de lutter pour l’heure avec les Chinois dans de nombreux secteurs industriels, il convient dorénavant pour beaucoup d’entreprises d’envisager de “faire autrement ou même autre chose avec ce qu’elles savent faire”, et se mettre ainsi en configuration managériale pour s’adapter, muter, voire changer de métier le cas échéant.

    La nécessaire ré-industrialisation des territoires

    Ces nouveaux paradigmes industriels sont une formidable opportunité pour envisager la ré-industrialisation des territoires, en développant leur identité et leur pertinence. Il s’agit d’attirer des industries plus flexibles, plus souples, plus inventives, plus innovantes plus proches des marchés finaux. Cette ré-industrialisation va de pair avec l’exigence écologique qui veut que l’on rapproche les sites de production du client final. L’émergence des nouvelles technologies va réduire la “distance” entre les producteurs et les consommateurs. De nouveaux circuits d’information et logistiques vont se développer et remettre en cause certains potentats de la distribution traditionnelle.

    L’Economie verte

    Il est difficile de croire à la vertu des entreprises, il faudra bien que les politiques légifèrent pour elles sur l’Ecologie et l’économie verte. Aucune entreprise dans le système capitaliste n’a jamais vendu un produit par devoir, mais toujours par intérêt. Difficile de croire en la prise de conscience et en la volonté soudaine des chefs d’entreprises. La Morale me paraît exclue de l’organisation du commerce. Le marketing en tant que mécanisme n’a pas de morale, il est comme la science ou la technologie, il est amoral.

    Néanmoins, l’économie verte est une formidable opportunité économique dès lors qu’elle permettra de gagner de l’argent, dès lors que la loi contraindra la substitution de tous les anciens produits par des nouveaux produits plus vertueux écologiquement.

    Les designers américains ont développé le concept, largement repris internationalement depuis 60ans, de l’obsolescence programmée. Comment faire des produits qui vont “tomber en panne” au bout de tant d’heures d’utilisation pour nourrir la consommation, la croissance, le développement, le welfare en somme.

    A l’heure de l’écologie où il s’agit de recycler, de réutiliser, ou bien d’avoir “zéro déchet”, la “green economy” est une aubaine pour la consommation. Il va s’agir dans un 1er temps de substituer tous les anciens produits par d’autres polluant moins.

    Il est alors possible pour les entreprises de travailler sur des produits qui durent plusieurs générations. C’est le retour de la valeur patrimoniale d’un produit aux dépens de son caractère “jetable”. L’émergence du “non obsolescent product” est programmée.

    Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux : De l’Economie de marché à l’économie de la contribution signifie la fin d’une forme de marketing au profit du design et pour une société plus citoyenne

    Twitter, Wikipedia, Facebook… nous montrent le chemin d’une profonde modification des rapports entre le marché, les consommateurs, et les producteurs de biens et de services. Il y a là l’émergence d’un nouveau marketing, induit par l’intervention en amont de clients qui interfèrent dans la conception des produits qu’ils consomment. Ils retrouvent là une vertu, celle de mieux gouverner leur propre vie, au sens où Thomas Locke définissait cette gouvernance : “Tout homme est de par sa naissance et de par sa nature libre et responsable et donc à se gouverner lui-même”. Ils retrouvent là un peu d’Humanité alors que la société de consommation a fait craindre un moment d’être inféodé à des multinationales de plus en plus concentrées.

    On est en train de passer d’une économie de la consommation à une économie de la contribution où il sera donné à chacun l’opportunité de mieux gouverner sa relation à ce qu’il entend acheter. C’est une formidable opportunité pour l’émergence d’une économie verte gouvernée par des consommateurs-concepteurs plus responsables sur les enjeux de la protection de notre environnement.

    Si le Marketing a régi la société de consommation, c’est bien la conception qui va avoir la primauté de celle de la contribution. Parce que Le design est la discipline qui à toutes conceptions donne du sens, de la valeur et qu’il s’agit de se distinguer pour affirmer son individualité, c’est probablement le designer qui prendra le pas sur le Marketer.

    On a souvent reproché à la société de consommation et à la publicité d’aliéner “les peuples”, le design leur permet de recouvrer un peu d’humanité dans celle de la contribution. La formidable émergence des écoles de design témoigne déjà de cette profonde modification.


    4 commentaires

    1. Alain Pineau dit:

      Une analyse brillante et positive, à laquelle j’adhère complètement, et que je vois se vérifier
      chaque jour un peu plus dans mon quotidien de designer

      Bravo et merci pour cet article

    2. CHINE (?) « designcrisescontroverses dit:

      [...] un récent article pour La Revue du Design, Christian Guellerin affirme que «nous devons passer du ‘‘Made [...]

    3. La Revue du Design » Blog Archive » CHINE(?) dit:

      [...] un récent article pour La Revue du Design, Christian Guellerin affirme que «nous devons passer du ‘‘Made [...]

    4. oG dit:

      « Il est alors possible pour les entreprises de travailler sur des produits qui durent plusieurs générations. C’est le retour de la valeur patrimoniale d’un produit aux dépens de son caractère “jetable”.  »
      Comment peut-on parler de cela sans parler de décroissance ? Si un tel marché des objets se mettait en place, il faudrait soit les vendre trois fois plus cher, soit accepter une décroissance économique. Or créer la croissance n’est-ce pas la raison d’être de nos sociétés ? À quoi quoi profite cette croissance est une autre question mais une société décroissante est une société qui se meurt.

      « d’une économie de la consommation à une économie de la contribution »
      Vous présentez cela comme si la bataille était déjà gagnée. Les consommateurs sont pourtant bien loin d’avoir le pouvoir, dans votre conception de contribution communautaire en tout cas. Car dans un sens, le consommateur a déjà le pouvoir sur ce qu’il achète, et c’est de cette façon et de cette façon uniquement qu’il peut faire entendre sa voix. Malheureusement, c’est un vote caché dont personne n’a conscience et qui joue plus sur des mécanismes de manipulations (publicité, société de consommation) que sur des décisions rationnelles.
      Aujourd’hui, les entreprises n’emploient les réseaux sociaux que comme outil marketing. Car oui, aujourd’hui, les entreprises savent mieux que le consommateur ce dont il a besoin, ou au moins ce dont il a envie. La solution ? Vous l’écrivez : chercher le sens. C’est effectivement le travail du designer mais c’est une grande tâche à accomplir.

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