• Interview avec un designer spécialiste du monde végétal : Patrick Nadeau

    Nature Individuelle Relief © Philippe Chancel

    En 2008, nous avions consacré un article à l’exposition « Nature individuelle » présentée à Paris par Patrick Nadeau. Cet architecte et designer spécialisé dans le design végétal, y exposait tables, pots, étagères ou murs végétalisés qui invitaient le paysage dans nos espaces domestiques. Sur son compte instagram, Patrick Nadeau a republié certain de ces projets, nous rappelant à quel point ils étaient toujours d’actualité, peut-être même encore plus depuis le confinement que nous venons de vivre. Presque 10 ans jours pour jours après sa dernière interview réalisée par nos soins, nous vous proposons donc de retrouver le designer entre ses projets passés, présents et futurs :

    Pourriez-vous vous présenter et nous rappeler votre parcours ?
    Je suis architecte et designer de formation. Je me suis sérieusement intéressé aux plantes à la fin des années 90 après un séjour à la Villa Kujoyama à Kyoto. Début 2000, j’ai ouvert un bureau me permettant de traiter techniquement et efficacement des projets intégrant du végétal. Depuis, j’ai abordé la question à différentes échelles et sous différents angles. Des projets très variés m’ont permis d’expérimenter de nouveaux modes d’intégration des plantes en architecture, architecture d’intérieur, sur du mobilier et du mobilier urbain ou dans des scénographies. Aujourd’hui, je suis de régulièrement invité à réaliser des installations végétales dans des centres d’art. Avec le recul, je peux dire que l’influence des plantes, voire de la botanique, sur mon travail dépasse largement le cadre des projets végétalisés. Elles ont globalement orienté et nourri ma pratique (y compris les projets sans végétal) aiguisant notamment ma sensibilité au contexte des projets. Pour un designer qui, comme moi, pense qu’un des principaux enjeux du design réside dans l’adaptation de l’homme à son milieu, l’étude des plantes est une sacrée leçon !

    Nature Individuelle Relief © Philippe Chancel

    Comment est née la collection de pièces Nature Individuelle ?
    En 2008, j’ai été invité par Denis Castaing et Emmanuel Chevrel à exposer dans leur showroom Sabz à Paris. Laurent Denize D’Estrées et son équipe de 14 Septembre étaient également de la partie. J’ai alors rencontré Mathieu Jacobs qui est physiologiste et qui travaillait à cette époque sur de nouveaux substrats de culture fonctionnant pour les plantes à l’horizontale et à la verticale. Nous avons fait équipe sur la conception de la collection Nature individuelle. Ma principale préoccupation pour ce projet était la question de la forme. J’ai d’ailleurs beaucoup discuté de ce sujet pendant la conception avec Jeanne Quéheillard qui a ensuite écrit un texte pour le catalogue. Deux types d’objets sont présents dans la gamme : des supports de plantes proprement dit (pots, supports de culture verticaux et horizontaux, colonnes, tonnelles) et des objets usuels végétalisés (étagères, tables, tables basses). Les premiers permettent d’introduire des plantes en intérieur en créant des espaces sensibles se situant entre l’espace intérieur et le jardin (les colonnes et les tabourets en terre, par exemple). En terme d’usage, les seconds peuvent, sous un certain angle, être jugés aberrants. Il est évidemment plus pratique de faire pousser des plantes dans un pot de fleurs posé sur une table que directement dans la table. Mais ce qui m’intéressait, c’était la remise en question de la forme de ces objets par l’introduction des plantes. La table Relief est avant tout regardé comme une surface disposée à une certaine hauteur, le plateau s’infléchit légèrement pour laisser l’eau s’écouler là où les plantes sont implantées, des sillons, tels de petits canaux permettent d’ailleurs l’évacuation de l’eau. Dessiner une table en intégrant du végétal renvoie ainsi à des territoires éloignés du mobilier comme le jardin ou le paysage. Cette ambiguïté favorise, me semble-t-il, des ouvertures en terme de recherches formelles ou plastiques.

    Nature Individuelle Rocaille © Philippe Chancel

    D’où vous vient cette envie de mêler le végétal à vos créations ?
    Quand j’ai réellement commencé à m’intéresser aux plantes en tant que designer j’étais me semble-t-il avant tout fasciné par la confrontation organique/manufacturé. Mon premier projet, le Meuble-jardin (conçu avec Vincent Dupont-Rougier pour le Festival des Jardins de Chaumont-sur-Loire) témoigne bien de cet intérêt. Il s’agit d’un gros outil de culture ou d’un petit jardin mobile intégrant des techniques de culture hors-sol avant tout réservées, à ce moment, aux serres de production intensive. Cet objet insolite produit un choc visuel entre les plantes et le support que je trouve esthétiquement toujours très intéressant.

    Meuble Jardin - Nadeau & Dupontrougier © Fillioux&Fillioux

    Depuis, j’ai un peu appris à connaître les plantes et ce sont elles qui maintenant me fascinent le plus. Ainsi un de mes derniers projets Rainforest (également présenté à Chaumont-sur-Loire) s’éloigne-t-il de l’objet pour se rapprocher des plantes et du jardin. Il s’agit d’une installation dans la serre tropicale du Domaine. Avec la situation actuelle, et notamment la période de confinement que nous avons vécu, de très nombreux citadins cherchent à verdir leur intérieur.

    Rainforest - © Hervé Ternisien

    Que vous inspire cette tendance ?
    En fait, j’aimerais que cette envie de plantes d’intérieur favorise une réflexion un peu large sur l’habitat, mais également sur tous les espaces de vie quotidienne (comme les lieux de travail, par exemple). L’introduction de l’organique et du vivant dans nos espaces de vie pourrait faire émerger de nouveaux types d’espaces et de nouvelles atmosphères sensibles, chaleureuses et inattendues. Plus largement, j’aimerais que les enjeux du développement durable et de la végétalisation des lieux de vie soient également des enjeux sensibles et humains. On peut rêver d’un nouvel art de vivre !

    Rainforest - © Hervé Ternisien

    Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
    Un projet d’installation artistique pour un centre d’art comme je l’ai évoqué au début de cet entretien, des projets de mobilier de jardin et une petite place urbaine dans un pays voisin de la France. Je prépare également ma participation à une belle exposition sur le végétal au Grand Hornu en Belgique (PLANT FEVER / 18 octobre > 14 février 2021 / Commissaire Laura Drouet [Studio d-o-t-s])

    Auriez-vous un conseil à donner à un jeune designer ?
    Faire sérieusement des choses auxquelles il croit sincèrement. Mais surtout les faire pour les autres !

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    Partenaires du projet Nature Individuelle Sabz, Vertilignes, Corian, Dacryl, Ravel, Carrafont, 14 septembre, M&O

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    Pour découvrir plus de travaux de Patrick Nadeau, visitez son site internet.

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