• “L’objet en question(s)” : Gwilen, des sédiments marins transformés en matériaux pour le design et l’architecture

    La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs : l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux… Aujourd’hui, nous rencontrons l’architecte et ingénieur des Ponts et chaussés Yann Santerre. Il vient de développer Gwilen, un nouveau matériau formé à partir de sédiments marins et ne nécessitant pas cuisson haute température ce qui permet d’économiser des ressources énergétiques. Un projet très innovant qui s’inspire de la diagénèse, le processus naturel de formation des roches sédimentaires. Rencontre avec son créateur :

    Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
    Bonjour, je suis Yann Santerre, architecte et ingénieur des Ponts et Chaussées, double cursus mené conjointement à l’EAVT et à l’ENPC. Après quelques expériences comme ingénieur structure puis comme architecte notamment sur des projets de stade à l’international, j’ai déménagé dans ma Bretagne natale afin de développer le projet Gwilen.

    Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
    Gwilen valorise les sédiments marins pour en faire des matériaux pour le design et l’architecture. Nous développons des matériaux à l’impact environnemental réduit, d’une part en utilisant des matériaux que nous avons déjà à notre disposition, ce qui limite le recours à des ressources non- renouvelables, d’autre part grâce à un procédé sans cuisson haute température, ce qui limite considérablement la consommation énergétique lors de la production en comparaison de procédés plus traditionnels.

    Comment ce projet vous a-t-il été confié?
    C’est un projet que j’ai initié de moi-même, convaincu que les architectes et les designers sont les plus à même de trouver des solutions aux grands enjeux environnementaux, qui plus est ceux qui concernent le secteur de la construction. En effet, les designers ou architectes savent concevoir dans l’abstraction, et surtout savent développer des solutions créatives en réponse à des problèmes aux paramètres non-corrélés. Or c’est ce genre de problème qu’il nous faut solutionner sur tous les sujets liés à l’environnement !

    Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
    Le principal enjeu a été de mettre au point un procédé fiable et stable permettant de solidifier les sédiments. C’est donc un enjeu technique avant tout. Au-delà de ça, le travail sur la matière et son esthétique était aussi à prendre en compte dans nos développements, ce qui a complexifié le problème.

    Quel était votre concept ou votre idée de départ?
    Les premiers essais ont été réalisés sur les rives de l’estuaire de la Vilaine, d’où je suis originaire. Depuis la construction d’un barrage dans les années 70, l’estuaire de la Vilaine c’est complètement envasé. L’idée de départ état de trouver une manière de désenvaser cet estuaire situé en zone naturelle protégée. En effet, cela pose un sujet important qui est celui de notre rapport à la nature, et la relation qu’entretiennent nos infrastructures avec la nature. Ce barrage a été construit pour constituer une importante réserve d’eau douce, il a donc une utilité sociétale. La conséquence, c’est l’envasement. Ce phénomène est tellement important qu’aujourd’hui l’estuaire est en voie de poldérisation. Son aspect naturel est complètement transformé, et il tend même vers un nouvel équilibre naturel. Cela questionne donc aussi notre rapport au temps. C’est à partir de là que j’ai commencé à chercher un moyen de valoriser ces sédiments. Conscient de l’enjeu important lié à la consommation de ressources mais aussi à la consommation d’énergie considérable associé à la production des matériaux de construction traditionnels, j’ai commencé à développer un procédé afin de solidifier ces matériaux, dans le but d’en faire des matériaux pour nos architectures.

    Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
    En m’intéressant au sujet de l’estuaire de la Vilaine, je me suis rendu compte que le problème était bien plus global, et qu’il représentait un enjeu majeur pour les ports. En effet, tous les ports s’envasent, c’est inévitable. Quand on conçoit un port, on le conçoit afin qu’il ralentisse les courants et qu’il diminue la houle, ce qui a pour conséquence de permettre aux particules en suspension dans l’eau de venir se déposer au fond. Or pour assurer une bonne navigabilité, les ports ont régulièrement besoin d’évacuer ces sédiments. En France, cela représente un volume de 40 à 50 millions de mètre cube qui sont évacués chaque année. C’est considérable. Or ces sédiments sont à 90% rejetés au large, ce qui perturbe les fragiles écosystèmes marins en les recouvrant sous d’importantes couches d’argile imperméables. De plus en plus, les gestionnaires portuaires sont donc contraints de ramener ces sédiments à terre. Ce sont donc des matériaux que nous avons à notre disposition, pour lesquels il n’existe aujourd’hui que très peu de débouchés de valorisation, ce qui fait que la majorité de ces matériaux sont simplement mis en dépôt.

    Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet?
    Nous sommes deux associés sur le projet, tous deux architecte-ingénieur. Nous sommes par ailleurs accompagnés, à Brest par le technopole Brest-Iroise, mais aussi par Brest Métropole et la Région Bretagne qui soutiennent le projet et son implantation finistérienne. Nous sommes également incubés au sein de l’ENSTRATUP, qui est l’incubateur de l’ENSTA Bretagne. De plus, nous sommes suivis par le Matériaupôle, qui nous accompagne sur les sujets liés au matériau et à la réflexion sur la mise en place de notre process de fabrication.

    Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
    Nous avons la chance d’avoir pour l’instant développé le projet sans trop d’encombres. Les gens que nous rencontrons sont toujours enthousiastes à propos du projet et de ses perspectives, et nous avons la chance d’avoir déjà reçu de belles marques d’intérêt pour le développement de projets en partenariat. Nous cherchons en effet à monter des collaborations avec différents designers, afin de développer des projets avec eux, et explorer tous les potentiels de ce nouveau matériau.

    Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
    J’ai commencé à réaliser les premiers essais en septembre 2017, et nous avons lancé officiellement le projet début 2020. Nous installons actuellement notre premier atelier de production qui devrait être prêt pour mars 2021.

    Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
    Peut-être aurais-je cherché à aller encore plus vite. Nous avons mis 3 ans et demi à développer cette solution et monter ce projet, mais il y a je crois une réelle urgence à développer de nouvelles solutions pour nos constructions, afin de limiter la consommation de ressources et d’énergie associés à la production de nos bâtiments. Le plus vite sera le mieux !

    Et pour finir, où en est ce projet?
    Nous installons notre premier atelier de production à Brest, qui devrait ouvrir et démarrer la production dans les semaines qui viennent. Nous sommes également dans une campagne de votes pour un concours de projet, La Fabrique Aviva, pour lequel Gwilen a la chance d’avoir été présélectionnée. Pour nous soutenir, vous pouvez vous rendre sur notre page projet où vous trouverez aussi plus d’informations.

    Pour découvrir plus d’informations à propos de Gwilen, visitez son site internet.

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