• Normal Studio, en deux temps trois mouvements

    Par Ingi Brown.

    Du 8 avril et jusqu’au 15 août 2010, le musée des Arts Décoratifs clôt le triptyque consacré aux designers représentants du « minimalisme » – initié avec Konstantin Grcic fin 2007, puis continué avec Jasper Morrison en 2009 – par la présentation de l’agence française Normal Studio, fondée par Jean-François Dingjian et Éloi Chafaï en 2006. Cette exposition est la première d’une telle ampleur à leur être consacrée et sa scénographie en trois mouvements nous laisse découvrir tant leur production que leurs outils, matériaux, prototypes et sources d’inspiration iconographiques.

    Normal n’est pas habituel

    Le catalogue Normal Studio – Design élémentaire présente deux volets: Jeanne Quéheillard nous livre tout d’abord une description concise de l’agence Normal Studio, en commençant par l’histoire de sa genèse. Ses deux fondateurs se rencontrent en 2000 à l’Ensci-Les Ateliers, alors que Jean-François Dingjian dirige un atelier auquel vient assister Éloi Chafaï. Progressivement, les deux designers vont collaborer et commencer à explorer les dimensions ouvertes par leur regard partagé sur le monde de la création industrielle, un regard marqué par un retour à la technique et la complexe recherche de la simplicité. Cette relation, qui débute par un modèle enseignant-élève avant d’évoluer vers celui de tuteur-stagiaire l’année suivante, aboutit en 2006 à celui d’associés, lorsqu’ils fondent ensemble Normal Studio.

    Mais bien plus qu’une simple présentation de l’agence et de ses productions, c’est une réelle immersion dans le processus de conception de ce tandem talentueux que nous propose l’auteur. La surprise – agréable – de ce catalogue d’exposition se situe précisément dans l’analyse détaillée de la méthodologie qui constitue l’identité, sinon la raison d’être de Normal Studio. Ainsi, l’auteur nous explique que les deux designers commencent par observer les process industriels et les procédés de fabrication pour en extraire l’essence et les spécificités. Ce n’est pas forcément une connaissance technique qu’ils cherchent à acquérir par cette observation, mais plutôt une appréciation de l’esthétique propre à chaque technique. C’est cette connaissance-là qui leur permet de constituer ce qu’ils appellent une « grammaire de conception élémentaire », qu’ils utilisent subséquemment pour produire les objets qui sont présentés dans cette exposition et son catalogue.

    Normal n’est pas ordinaire

    Un second volet nous fournit une présentation plus traditionnelle de la sélection d’une douzaine des projets de l’exposition. Traditionnelle mais pas ordinaire, puisque chaque projet est chapeauté par un court texte qui vient renseigner le lecteur sur les modalités de sa genèse. Les deux designers détaillent ainsi les particularités qui façonnent leurs processus de conception dans les spécificités de chacun des projets. Ici, on est surpris d’apprendre que l’étude du procédé de fraisage a permis la génération d’une trame de vides et de pleins sur les tables basses Ajours, là, c’est au contraire les contraintes de l’injection plastique qui imposent d’innover sur la forme des corbeilles Atrium. Chaque projet est rapporté à sa conception comme référentiel auquel ces designers attachent peut-être plus d’importance qu’aux objets qu’ils produisent. Car ces objets ne sont-ils pas finalement que de simples instances d’une méthode qui permettrait d’en créer toute une variété?

    L’ouvrage conclut d’ailleurs sur un index qui présente la collection des objets par des illustrations originales: épurées mais précises, entre dessin technique et sketch de concept, un hybride qui résume bien la ligne de force de l’agence: c’est à dire la création d’une esthétique industrielle, au sens où elle prend ses sources dans les techniques de production.

    Le lecteur aura le plaisir de découvrir un ouvrage qui décrit deux designers qui traitent non seulement les objets avec humilité mais surtout les techniques avec respect. Pour eux, il ne s’agit pas d’utiliser le design comme vecteur pour repousser les limites des techniques industrielles. Il s’agit au contraire d’observer et de reconnaître les capacités et limites des outils pour créer des objets épurés et surprenants. Il en résulte un travail très fin, qui refuse « l’extra-ordinaire » forcé au profit d’un naturel interprété; il nous semble que c’est assez rare pour être noté.

    Loin de ces simples compilations d’images trop souvent proposées par les ouvrages qui suivent les expositions consacrées au design, Normal Studio – design élémentaire lève le voile sur les dynamiques de conception, habituellement masquées. Ainsi le lecteur, tout comme le visiteur, sera projeté au sein d’un univers étonnant et inhabituel pour le milieu: un univers qui théorise (ou tout du moins explicite) la méthodologie de génération des formes, et qui permet ainsi de mieux appréhender la cohérence entre l’agence, les fondateurs, leur histoire et les projets exposés. Un seul regret cependant: on reste malgré tout un peu sur sa faim. En effet, l’analyse est de qualité mais rapidement dévorée, et l’on aimerait pouvoir continuer la découverte et poursuivre l’exploration de cet univers avec l’auteur. C’est donc une invitation à découvrir plus en détail l’exposition, l’agence Normal Studio, et les deux étonnants designers qui la constituent.

    « Normal Studio: Design élémentaire », par Jeanne Quéheillard. Editeur: Union Centrale des Arts Décoratifs.

    Ingénieur de formation, Ingi Brown prépare actuellement un doctorat en Sciences de Gestion à l’École des Mines ParisTech. Son travail de recherche s’articule autour des questions de conception innovante dans les entreprises, de sa gestion et de ses outils. Il s’intéresse depuis plusieurs années aux relations entre ingénierie et arts appliqués, et cherche à formaliser les moyens d’action qui permettraient de « ré-enchanter » le dialogue entre ces deux disciplines. Par ailleurs, il enseigne depuis 2010 le module « méthodologies de l’ingénieur » à Strate Collège Designers.

    Cette critique est également parue sur le site nonfiction.fr.


    1 commentaire

    1. Lutz dit:

      et voila un texte qui va en profondeur « au delas de la simple compilation d images » et de texte courts et sommaires des blogs.
      Merci beaucoup de faire travailler les yeux et les neurones.

      Lutz

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