• Tech & Design: Bajard et Beyrand pour la Manufacture des Rigoles

    Par Elodie Palasse-Leroux.

    Le vrai luxe, c’est celui qui nécessite un savoir-faire hors pair, de longues heures de travail pour s’offrir enfin aux regards dans toute sa trompeuse simplicité. Sous l’égide du R3iLab, la designer Félicie Bajard s’est associée à Beyrand, spécialiste mondialement connu de la chromie sur porcelaine et sur cuir: deux matières nobles pour une ligne d’exception, actuelle, autour de l’univers du thé.

    Une délicate parenthèse qui clôt la série d’entrevues avec les binômes du programme Tech & Design.

    Du positionnement sur cuir au positionnement “marché”

    Thé sur l’herbe (“L’objet d’exception: un carquois de cuir qui découvre tasses et thermos”), Thé entre amis (un coffret “cadeau” de deux tasses) et Thé au marché (le cabas de cuir au bijou de porcelaine, lui aussi décoré de l’inouï motif placé) sont des produits de luxe à l’esprit nomade, nés de la collaboration entre la designer Félicie Bajard et Beyrand, “imprimeur céramique” (depuis 1926) pour le bénéfice d’Hermès, de Wedgwood, de Bernardaud, ou de Louis Vuitton.

    Cette dernière référence vient en point commun aux deux intéressés: Félicie Bajard a fourbi pendant quatre ans ses armes auprès du malletier, en tant que designer produit. L’expérience lui a permis s’affirmer sa maîtrise du placement-positionnement sur cuir, qu’elle exerce depuis 2008 pour sa propre marque, la Manufacture des Rigoles.

    Pierre Beyrand et Félicie Bajard s’étaient déjà rencontrés, à l’initiative du Centre Technique du Cuir. Beyrand, entreprise labellisée “Entreprise du Patrimoine Vivant” en 2008, était à la recherche d’un sérigraphe sur cuir (activité récemment ajoutée à son art par l’industriel, basé à Limoges). La designer venait de se voir décerner par le CTC une aide au développement des jeunes entreprises. Le rapprochement était évident, et la collaboration concrétisée dans le cadre du R3iLab, à l’instigation de Pierre Beyrand.

    En dépit de leur connaissance aguerrie des savoir-faire mis en œuvre, industriel et designer ont au départ “tâtonné: il fallait cerner le marché, explorer diverses pistes, déterminer les questions de coûts, évaluer le temps qu’il faudrait pour développer le projet”.

    Avec l’aide d’Isabelle de Bussac, Pierre Beyrand et Félicie Bajard balisent le champ d’action: “On pouvait imaginer une ligne avec des complémentarités, ou des déclinaisons. Pour des marques spécialisées dans l’épicerie de luxe, comme Hédiard, Fauchon, La Grande Epicerie, une version calquée sur leur identité visuelle. Et, bien évidemment, réfléchir au moyen de réaliser une version plus abordable, plus grand public, car les matières utilisées, exceptionnelles, induisent aussi un prix de vente élevé. Le petit kit Thé entre amis donne un début de réponse.”

    Entre designer et industriel, “une éducation partagée”

    On n’imagine pas, devant le produit fini, les difficultés techniques qu’il faut dompter.” Félicie Bajard évoque le processus semé d’embûches.
    Le cuir est une matière en 2D, la porcelaine en 3D: faire courir un même motif, en continu, sur les deux matières juxtaposées n’était pas chose aisée. Sur cuir, la couleur peut être altérée après application du vernis. C’est la cuisson qui révèle totalement celle qu’on applique à la porcelaine. On imagine donc qu’obtenir un résultat parfaitement identique, à la fois en termes de placement et de ton, se révèle une véritable prouesse!”.

    Pierre Beyrand acquiesce: “ajuster parfaitement la teinte des chromos aux matières utilisées par Félicie, le cuir et la porcelaine, constituait un vrai défi industriel, passionnant à résoudre”.

    En effet, le résultat final ne dévoile rien des accidents de parcours ni du degré de difficulté de l’exercice. Fluide, le délicat motif s’étend en étoile sur le fourreau de cuir et la tasse de porcelaine fine qu’il gaine avec précision. Les tons bleu canard et argent viennent rehausser le cuir bleu camée, tandis que le cuir taupe affiche des lignes d’un brun chaud, associé au doré -la sérigraphie de métaux précieux, un des talents très recherchés de Beyrand. L’aspect est précieux, mais dénué de préciosité.

    J’imaginais une véritable dentelle, pas d’aplat: étoiles, fleurettes et points, pour laisser apparaître la matière”. Félicie Bajard a sélectionné un cuir d’exception: “il y a beaucoup de chutes, le rectangle de sérigraphie doit être apposé dans le centre de la peau – les flancs sont plus distendus, grainés”.

    En attendant de voir la ligne se développer commercialement, Félicie Bajard résume joliment l’exercice auquel le binôme s’est soumis dans le cadre du programme Tech & Design: “c’est une éducation partagée. On montre les ouvertures du design. L’industriel nous explique ses contraintes. C’est un transfert permanent d’idées techniques.”

    Elodie Palasse-Leroux, journaliste, est également rédactrice de Sleek design.

    >>> Si le sujet vous intéresse, vous pouvez consulter les autres articles que nous avons consacrés à l’exposition Tech & Design.

    Quelques images du projet:


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